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Mondialisation, souveraineté, désir d’État et règles informelles : les choix arméniens

  • Alain Navarra-Navassartian
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Alain Navarra-Navassartian. Docteur en sociologie et en histoire de l'art


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Dans une perspective sociologique, la souveraineté s’ancre d’abord dans un fondement interne : elle renvoie à la capacité d’un État à structurer l’ordre politique, administratif et juridique sur un territoire donné. Toutefois, la mondialisation reconfigure profondément les conditions d’exercice de cette souveraineté. L’interdépendance accrue des sociétés, la montée en puissance des marchés transnationaux, des firmes multinationales ou des investisseurs globaux introduisent des contraintes qui limitent l’autonomie décisionnelle des États.


Pour autant, il ne s’agit pas d’une disparition de la souveraineté, mais d’un déplacement de ses formes. Les notions de souveraineté coopérative, d’influence, numérique ou technologique montrent que l’autorité étatique ne se réduit plus à un pouvoir politique centralisé : elle s’exerce désormais dans des espaces multiples et en interaction constante avec des acteurs non étatiques. La souveraineté continue d’être la capacité à décider, mais cette capacité se déploie au sein d’un champ globalisé où les dépendances sont structurelles.


Le cas arménien illustre un phénomène observable dans de nombreux pays : alors même que les gouvernements revendiquent la consolidation de l’État, l’État-nation tend à perdre son statut symbolique de référence. Il se trouve progressivement redéfini comme une unité territoriale insérée dans des dynamiques économiques mondialisées, devenant parfois une simple plate-forme pour des activités dont l’orientation et les finalités sont largement déterminées depuis l’extérieur.


Dans une approche sociologique des institutions, l’État conserve un rôle central. Les « règles formelles » — pour reprendre la distinction de Douglass North (1990) — englobent les dispositions juridiques et constitutionnelles qui définissent la place respective de l’État, des individus et des organisations, tout en fournissant les conditions de possibilité des marchés. Cependant, ces règles formelles coexistent avec un ensemble de « règles informelles » — systèmes de valeurs, croyances, normes sociales, représentations collectives, traditions ou matrices religieuses — dont les transformations sont généralement plus lentes. Toute tentative de réforme, particulièrement lorsqu’elle apparaît brusque ou menaçante pour la population, doit intégrer ces dimensions informelles si elle souhaite être socialement acceptée.


Or, l’action publique oublie souvent que les individus — en Arménie comme ailleurs — interprètent le monde à travers des schémas cognitifs historiquement constitués. Il est sociologiquement problématique d’ignorer la persistance des idéologies et des expériences collectives qui ont structuré les dispositions mentales. Balayer d’un geste l’héritage de près de quatre-vingts ans de socialisme soviétique, ou minimiser l’impact durable de la guerre, des pertes humaines, de l’exil et de l’expérience continue de l’injustice — qu’incarnent notamment le sort réservé aux prisonniers de guerre et détenus politiques — revient à négliger le rôle des traumatismes historiques dans la formation et le fonctionnement des institutions formelles comme informelles.


Dans cette perspective, la position de Nikol Pachinian, qui a ouvert une brèche discursive concernant la qualification du génocide, contraste avec l’absence d’un travail réflexif sur le passé plus récent. Une telle omission limite la compréhension de la capacité cognitive des acteurs sociaux contemporains, en particulier dans un contexte où les institutions ont longtemps été inefficaces et où le pouvoir politique a pu imposer des représentations destinées avant tout à servir ses propres intérêts.


La dynamique enclenchée en 2018 apparaît aujourd’hui fragilisée, pour des raisons multiples. Parmi celles-ci figure la difficulté des élites gouvernantes à prendre en compte les codes de conduite intériorisés par une population affectée par la défaite, par des pertes humaines considérables, et par une menace existentielle alimentée par une conflictualité régionale persistante. Ignorer ces dispositions revient à commettre une erreur politique majeure : les croyances partagées à un moment donné de l’histoire constituent un enjeu de pouvoir, un espace de légitimation ou de contestation.


Chercher à imposer une modernisation rapide, par des slogans abstraits et des pratiques susceptibles d’être perçues comme des formes de violence politique symbolique ou matérielle, méconnaît l’intentionnalité et les logiques d’action d’une partie de la population. Celle-ci ne peut être réduite ni à une rationalité instrumentale, ni à une sémantique technocratique dissociée de ses expériences vécues.


Dans le discours qui accompagne le traité de paix, la paix est présentée comme un « droit » et les activités économiques projetées apparaissent comme un mécanisme autorégulateur censé stabiliser durablement la région. Une telle lecture repose implicitement sur une conception fonctionnaliste de l’ordre international, où les échanges économiques produiraient mécaniquement la pacification. Or cette approche néglige la dimension proprement sociale des interactions humaines : les représentations collectives, les interdépendances symboliques, les imaginaires géopolitiques et les systèmes de valeurs qui orientent les pratiques.


La géopolitique, souvent mobilisée comme clé d’intelligibilité du monde, tend à privilégier les rapports de force matériels au détriment de l’analyse des représentations — pourtant centrales — concernant les frontières, les relations entre États ou la configuration du monde. Toute vision géopolitique repose sur un ensemble de convictions partagées, comme l’illustrent historiquement les doctrines stratégiques telles que la « théorie des dominos ». En réalité, l’analyse géopolitique résulte de la combinaison variable d’une pluralité de facteurs (politiques, économiques, démographiques, religieux, culturels, sociologiques, etc.) et implique un travail réflexif constant, sous peine de naturaliser des perceptions situées.


L’efficacité des institutions ne peut être réduite à un problème technique de gouvernance. Les institutions formelles coexistent avec un vaste réseau d’organisations sociales — éducatives, religieuses, civiles — ainsi qu’avec les dispositions des individus eux-mêmes. Le processus enclenché en Arménie en 2018 relevait d’ailleurs avant tout d’une mobilisation collective fondée sur la désobéissance civile, c’est-à-dire un apprentissage social et politique diffus. À ce titre, les tensions actuelles doivent être restituées dans un champ conflictuel élargi : luttes pour le contrôle des espaces, disputes autour des frontières, stratégies économiques concurrentes accentuées par la mondialisation, confrontation des identités culturelles, linguistiques et religieuses, ou encore contrôle des discours et des représentations légitimes du territoire.


La solution promue par les autorités s’inscrit dans un cadre normatif proche de l’ordre néolibéral productiviste, où le développement économique apparaît comme la finalité première du processus de paix. Une telle orientation occulte la nécessité d’intégrer les représentations des acteurs — population, institutions religieuses, organisations locales — afin de comprendre la manière dont chacun interprète les enjeux territoriaux et les ressources en présence. Ces représentations conditionnent les argumentaires publics, mais aussi les rationalités tacites qui orientent les prises de position et, dans certains cas, alimentent les tensions ou même les conflits.


Dans ce contexte, les mobilisations sociales ont été fréquemment disqualifiées à travers des catégories globalisantes telles que « nationalistes », « rétrogrades » ou « pro-russes », ce qui revient à neutraliser la pluralité des motivations et à délégitimer les formes locales de contestation. La circulation, sur les réseaux sociaux, de discours célébrant des condamnations à perpétuité de prisonniers de guerre illustre la polarisation croissante des représentations. Parallèlement, le durcissement gouvernemental — renforcement du contrôle médiatique et prétention à définir seul la légitimité des mobilisations — conduit à une restriction des espaces de débat et à la mise à distance de groupes considérés comme dépourvus de compétence politique.


Une stratégie alternative supposerait de penser les devenirs politiques possibles en articulant l’histoire passée et les dynamiques contemporaines, afin d’évaluer les trajectoires probables et de construire un système de valeurs, ainsi que des pratiques politiques, adaptées aux transformations vécues par l’Arménie depuis 2020. Or la ligne gouvernementale s’est progressivement durcie : marginalisation publique de certaines voix critiques, poursuites judiciaires à l’encontre d’opposants religieux ou laïcs, absence de dispositif politique structuré pour accompagner le retour des Arméniens déplacés d’Artsakh, etc.


Le refus de qualifier comme mouvements sociaux les mobilisations organisées par différents groupes — en les disqualifiant a priori — permet au pouvoir de se poser en arbitre exclusif de la légitimité politique. Cette confiscation du débat repose sur une représentation dépréciative des acteurs contestataires, décrits comme incompétents ou manipulés. Elle oppose implicitement deux « grammaires » politiques : celle du gouvernement, construite comme moderne et rationnelle, et celle associée aux paradigmes du passé, immédiatement étiquetée « nationaliste » ou « rétrograde ».


Il est sociologiquement frappant de constater que l’élaboration d’un nouveau vocabulaire politique, destiné à délégitimer certaines réalités sociales, semble plus aisée que la production d’un travail symbolique visant à reconstruire du sens collectif après une défaite. Or, dans des situations de crise nationale, les États doivent normalement engager une politique de significations : produire des récits, des cadres interprétatifs et des horizons collectifs permettant aux acteurs de se situer et de donner sens à l’événement. L’absence d’un tel travail laisse les individus sans ressources symboliques pour interpréter une conjoncture éprouvante.


Dans cette configuration, les choix offerts apparaissent limités. La ligne gouvernementale s’inscrit dans une rationalité néolibérale qui, pour reprendre une analyse bourdieusienne, tend à promouvoir un individu désubstantialisé, déraciné de ses appartenances historiques et symboliques, tendance perceptible dès 2022. Parallèlement, certains mouvements d’opposition — religieux ou laïcs — structurent leurs discours autour de registres moraux et d’analogies historiques. Leur rhétorique est parfois fragile d’un point de vue analytique, mais elle mobilise efficacement les catégories de compréhension familières à une partie significative de la population.


La labellisation rapide de ces groupes comme « nationalistes » empêche d’examiner leur rôle socio-politique, leurs ressources symboliques et leur position dans le champ politique arménien. Une telle réduction occulte la pluralité des logiques d’engagement et la fonction que ces mouvements remplissent dans la dynamique de recomposition politique en cours.

’Arménie ne peut pas encore être qualifiée de « démocratie autoritaire » au sens où certains auteurs décrivent des régimes comme celui de la Hongrie. Toutefois, il est sociologiquement significatif d’observer, au sein du premier cercle du Premier ministre, la promotion d’un ouvrage d’Erdogan. Le phénomène n’est pas anodin si l’on considère la capacité du président turc à réinterpréter l’histoire nationale et à produire un récit politique cohérent avec son projet de pouvoir — une compétence qui relève de ce que certains sociologues appelleraient un « réenchantement stratégique » du nationalisme.

Nombre d’observateurs perçoivent ce livre moins comme une contribution scientifique que comme un instrument de légitimation politique, notamment en raison de ses angles morts : absence de réflexion sur les conséquences du génocide arménien, effacement de la question kurde et de l’autodétermination, marginalisation des enjeux climatiques. Pourtant, une partie des nouvelles élites arméniennes semble considérer cet ouvrage comme une référence en matière de réforme des relations internationales. Reste à savoir si elles adopteront également la posture qu’Erdogan attribue au dirigeant politique : celle d’un interprète exclusif de la volonté populaire, caractéristique de la démocratie autoritaire.


Les colloques et événements académiques qui se multiplient à Erevan témoignent, par leur homogénéité argumentative, moins d’une élaboration collective de la vérité que d’une volonté de produire un récit commun. Le « réalisme », devenu le mot d’ordre des discours officiels, tend à fonctionner comme une catégorie rhétorique plutôt que comme une analyse empirique rigoureuse du rapport au réel.


D’un point de vue sociologique, l’action politique ne relève pas seulement de la production de récits légitimants. Elle suppose également la prise en compte de l’esprit public, entendu non pas comme l’opinion publique au sens statistique, ni comme une moralisation idéologique, mais comme la capacité d’une collectivité à se mobiliser autour de questions d’intérêt commun. Les stratégies d’Erdogan illustrent précisément la manière dont un dirigeant peut réduire cet espace : en circonscrivant l’engagement citoyen à un choix binaire et en accentuant ce que l’on pourrait appeler l’« évaporation du politique », c’est-à-dire la disparition des espaces intermédiaires où se construisent les délibérations collectives.


L’appropriation de cette logique par les élites arméniennes serait lourde de conséquences : elle conduirait à restreindre l’espace public, à diminuer la pluralité des interprétations légitimes et, in fine, à fragiliser les conditions mêmes de la délibération démocratique. L’apathie supposée du citoyen arménien est fréquemment invoquée pour expliquer la faible mobilisation politique, et cette attitude est souvent attribuée à la « fatigue » sociale accumulée après cinq années marquées par les pertes humaines, l’incertitude et les traumatismes collectifs. Or une observation de terrain — même brève — montre que le problème ne réside pas tant dans une disposition individuelle à l’indifférence que dans les conditions sociales qui structurent les interactions.


Ce qui apparaît, sociologiquement, n’est pas une démobilisation spontanée, mais une inhibition des possibilités de relation et d’action collective : arrestations de manifestants, contrôle renforcé des médias, dissuasion des rassemblements, stigmatisation des opposants. Autrement dit, ce qui est régulé, voire empêché, ce ne sont pas les individus en tant que tels, mais les formes d’interactions qui permettent la mise en commun des expériences, la construction de diagnostics partagés et l’émergence d’actions collectives.

Ainsi, l’apathie n’est pas un trait culturel ou psychologique : elle résulte de la limitation structurelle des capacités à parler, à penser et à agir ensemble — ce que la sociologie nomme l’entrave des « infrastructures de l’action collective ».


Les discours du Premier ministre constituent un matériau particulièrement révélateur. Ils valorisent l’idée d’un « esprit public », mais s’accompagnent d’une représentation du politique comme univers autarcique, réservé à ceux qui détiendraient le « texte sacré » de l’interprétation légitime des réalités nationales. Autrement dit, tous ne seraient pas autorisés à questionner ou à problématiser les situations que traverse le pays. L’idéologie explicite cède la place à l’expertise, tandis que l’État continue de privilégier une organisation fondée davantage sur les fonctions que sur les compétences effectives.

Dans le contexte de la globalisation, cette substitution est loin d’être anodine : la « guerre des talents » se transforme progressivement en « guerre des compétences », en particulier au sein des institutions publiques, où elle devient un enjeu de souveraineté nationale. Il ne s’agit plus seulement de gérer des ressources humaines, mais d’assurer une maîtrise collective des compétences disponibles — éducation, culture, systèmes de formation — qui constituent le socle de production et de reproduction des capacités sociales. Cette démarche suppose l’identification des compétences stratégiques, présentes ou historiques, ainsi que l’évaluation de leur volume actuel et de leurs évolutions prévisibles.

À quels experts fait-on donc appel ? La question relève d’une sociologie de l’expertise. En Arménie, nombre des organisations ou individus mobilisés aspirent clairement à devenir des acteurs des choix publics. Fondations aux ramifications multiples, groupes d’intérêts présentés comme culturels, organisations caritatives ou consultants divers : le champ de l’expertise devient un instrument de légitimation du pouvoir, parfois au détriment des stratégies contestataires. Les cadrages proposés par certains experts — locaux ou issus de la diaspora — contribuent à imposer des schémas interprétatifs qui dévaluent les mouvements sociaux ou disqualifient l’opposition, produisant ainsi un évitement systématique du politique dans la dynamique menant à l’accord de Washington.

En miroir, si la contestation politique est étroitement encadrée, voire interdite, en Azerbaïdjan, les autorités y placent la Nation au centre du discours public. Le 8 novembre, célébré comme « jour national de la libération de Choucha (Chouchi) », devient l’occasion d’affirmer que « la Nation a franchi un seuil de maturité » ou encore que « le Haut-Karabagh constitue un cas unique dans l’histoire post-soviétique ». Les déclarations d’Aliyev répondent à celles de Pachinian, tout en les neutralisant symboliquement : il accuse Moscou d’avoir tenté de maintenir une présence militaire arménienne sous supervision russe, et compare les procès intentés à Bakou contre les prisonniers de guerre au Tribunal de Nuremberg.


Cette rhétorique s’inscrit dans une construction d’un statut politique, diplomatique et « moral » conféré par la victoire militaire. Elle vise à exclure toute revendication séparatiste future, notamment au prétexte du retour des Arméniens d’Artsakh. Dans ce jeu d’interprétations convergentes et divergentes, un point de rencontre émerge néanmoins : le recours commun des deux gouvernements à l’imaginaire de la « démocratie commerciale », promue dans le contexte international par l’administration Trump, comme horizon légitime de la modernisation politique.


L’expertise tend ainsi à conforter la légitimité de décisions déjà arrêtées, tout en évacuant – volontairement ou non – la question des orientations politiques qui devraient guider l’action publique. Les producteurs arméniens de politiques publiques semblent, pour l’heure, incapables d’en définir les finalités. Dans ce contexte, certains enjeux centraux – les otages, le droit au retour, les garanties de sécurité – sont peu abordés, au profit d’une stratégie d’action fragmentée, portée par une pluralité d’acteurs et laissant la société dans un état d’incertitude structurelle.


Le politique ne disparaît pas : il se reconfigure. Son invisibilisation apparente ne signifie en rien son effacement, d’autant qu’il demeure indissociable du tragique profondément ancré dans l’expérience arménienne contemporaine. Tandis que certains cherchent à requalifier la défaite en moment fondateur de la nation, d’autres s’emploient à réécrire un passé conforme à leurs fantasmes. Aliyev, par exemple, rebaptise le lac Sevan et parle désormais « d’Azerbaïdjan occidental », illustrant comment l’histoire est de nouveau mise au service direct du pouvoir.


Dans ce cadre, la défaite, les morts et l’exode deviennent des éléments qu’il faudrait taire ou marginaliser, progressivement exclus du récit collectif. Toute remise en cause profonde des choix passés ou présents est dès lors tenue hors du champ de l’analyse publique, au profit d’une narration contrôlée qui réduit les possibilités de débat démocratique.

Nous avons ouvert cet article en interrogeant la notion de souveraineté. Il apparaît désormais clairement que la souveraineté ne repose plus sur l’isolement, mais sur la capacité d’un État à choisir ses interdépendances. Elle n’est pas un pouvoir exclusif, mais une faculté d’arbitrer, d’agir et de coopérer. À cet égard, la définition de marges d’autonomie – politiques, économiques, militaires, informationnelles – devient essentielle.

Mais la souveraineté interne est tout aussi déterminante. Une défaite militaire, des pertes humaines massives et l’effacement de repères symboliques engendrent une crise identitaire profonde, qui ne peut être résolue par la seule construction de narratifs officiels. Les verbatim du Premier ministre arménien en témoignent : l’identité nationale ne se laisse pas réduire à un discours unifié. Elle est intrinsèquement traversée de luttes, de conflits d’interprétation, de tentatives concurrentes pour en fixer le sens légitime.

Derrière les controverses sémantiques et les luttes de classement se joue, en réalité, la capacité du projet national en recomposition à accueillir l’altérité, à intégrer la pluralité des expériences et des mémoires. Autrement dit, la question posée n’est pas seulement celle du contenu de l’identité nationale, mais celle de ses frontières symboliques et de son hospitalité envers ceux qui ne s’y reconnaissent pas immédiatement.


Conclusion


Le discours dominant affirme désormais que l’Arménie aurait compris qu’aucune existence durable n’est possible dans le Sud-Caucase sans une intégration au système régional de coopération. Selon cette rhétorique, le pays doit apprendre à accepter et à construire une forme de « souveraineté partagée ». Face à ce cadrage prescriptif, il devient essentiel que l’Arménie élabore des stratégies et des tactiques explicites, permettant de distinguer ce qui relève du compromis nécessaire et ce qui engage des renoncements irréversibles.

Pour conclure, rappelons que la paix ne peut être réduite à une simple concorde : elle suppose la justice, c’est-à-dire la reconnaissance des torts, la prise en compte des violences passées et la garantie des droits. Or, la conflictualité latente qui traverse la région demeure omniprésente, comme en attestent les interventions d’Aliyev et de son gouvernement. La persistance d’une culture guerrière – son vocabulaire, ses références historiques, ses mises en scène – constitue un instrument central de reproduction du pouvoir. Elle permet de maintenir un état de mobilisation symbolique, de légitimer des politiques autoritaires et d’encadrer étroitement les horizons d’attente des populations.

 
 
 

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