Reconnaissance du génocide arménien : entre désengagement des États et responsabilité de la diaspora
- Association Hyestart
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Dernière mise à jour : il y a 12 heures
Alexis Rochette Krikorian

Le 24 avril, jour de commémoration du génocide arménien, a une nouvelle fois mis en lumière les tensions géopolitiques persistantes qui entourent sa reconnaissance. Cette année, deux faits marquants ont attiré l’attention : une déclaration de l’administration Trump (1), perçue par plusieurs observateurs comme un recul par rapport à la position officielle des États-Unis (qui reconnaît pourtant sans ambiguïté le génocide arménien) et l’annonce par le gouvernement arménien de la suspension de sa campagne internationale en faveur de cette reconnaissance. Ces développements soulèvent une question centrale : comment la diaspora arménienne peut-elle efficacement poursuivre son combat pour la vérité et la justice dans un contexte politique incertain ?
Le rétropédalage de l’Union européenne : une position floue sur la question du génocide et de l’avenir de l'Arménie
Autre signal préoccupant : la mission de l’Union européenne en Arménie avait initialement publié, sur son compte X, une déclaration mentionnant explicitement le génocide. Mais cette référence a ensuite été retirée dans la version finale du communiqué officiel, suscitant une vague d’incompréhension et de critiques. Ce retrait est d’autant plus troublant que le Parlement européen (représentant direct des citoyens européens) a reconnu le génocide arménien à plusieurs reprises, dès 1987.
Cette dissonance entre les institutions de l’Union et entre États membres fragilise la cohérence de sa politique extérieure en matière de droits humains. Elle est encore accentuée par la décision de la haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, l’Estonienne Kaja Kallas, de se rendre à Bakou dès le lendemain de la commémoration à Erevan pour "relancer les négociations sur un nouvel accord de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et l'Azerbaïdjan (2)", sans mention publique des otages arméniens, de la destruction du patrimoine du Haut-Karabakh, ni du droit au retour des déplacés de force sous protection internationale. Des sujets pourtant centraux dans toute diplomatie fondée sur les valeurs.
Même Moscou n’a pas manqué de souligner cette contradiction. Maria Zakharova, porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, a qualifié ce revirement de « cynisme » et de « bassesse incroyables » (3). Ce commentaire, au-delà de sa charge politique, souligne combien la reconnaissance du génocide arménien reste un sujet hautement stratégique, utilisé comme levier dans les rapports de force régionaux.
L’engagement de la France : une voix forte dans un contexte incertain
Dans ce contexte incertain, il convient de souligner l’importance de l’engagement de la France. Celle-ci se distingue par la clarté et la constance de son engagement. Elle fut l’un des premiers pays à reconnaitre le génocide arménien et a inscrit le 24 avril dans son calendrier républicain comme journée nationale de commémoration. Cet acte, à la fois symbolique et politique, témoigne d’une volonté affirmée de faire mémoire et de défendre la justice historique.
Malgré les défis actuels en matière de politique étrangère, le positionnement de la France offre à la diaspora un appui précieux, à la fois diplomatique et moral, montrant qu’il est possible de conjuguer fidélité aux droits humains et réalisme politique.
Face au désengagement, la nécessité de repenser la stratégie diasporique
La multiplication des reculs ou des silences officiels met la diaspora arménienne au pied du mur : sans réinvestissement stratégique, la dynamique de la reconnaissance viendra à s’essouffler. Il ne s’agit plus seulement de commémorer, mais d’agir tout en repensant les modalités de cette action en :
1. S’appuyant sur l’appareil diplomatique arménien sans s’y subordonner
Même si le gouvernement arménien est de fait moins actif sur la scène internationale, il reste judicieux, voire nécessaire, pour la diaspora de continuer à s’appuyer sur l’appareil diplomatique arménien lorsque cela est possible. Des collaborations ponctuelles, fondées sur des objectifs partagés et respectant l’autonomie de la diaspora, pourraient renforcer le poids du plaidoyer arménien dans les capitales clés.
2 Menant une diplomatie parallèle active
La diaspora arménienne a toujours joué un rôle moteur dans la lutte pour la reconnaissance du génocide. Elle a souvent compensé les faiblesses de l’État arménien grâce à une diplomatie parallèle agile et dynamique. Ce rôle doit aujourd’hui s’intensifier : présence accrue et coordonnée dans les forums multilatéraux (ONU, OSCE, Conseil de l’Europe…), rencontres et partenariats bilatéraux (ONG, pays), alliances avec d’autres communautés victimes de génocide. Un plaidoyer structuré, permanent et multilingue peut permettre à la question arménienne de regagner en visibilité et en légitimité.
3. Utilisant mieux les nouvelles technologies et les plateformes numériques
En utilisant les réseaux sociaux, les plateformes de partage vidéo et autres canaux numériques de manière mieux coordonnée et proactive, et en allant au-delà des seuls cercles communautaires lorsque la diaspora parle à la diaspora (sur Facebook notamment), la diaspora peut sensibiliser les jeunes générations à la cause arménienne et mieux mobiliser des soutiens à l’échelle mondiale.
4. Articulant mémoire, justice et réparation
La reconnaissance du génocide n’est pas une fin en soi. Il faut accentuer les discussions sur les réparations, la préservation du patrimoine, les droits des réfugiés ou la lutte contre l’impunité des discours négationnistes. Cette articulation entre mémoire et droit peut contribuer à renouveler le plaidoyer et à l’inscrire dans les enjeux contemporains des droits humains.
Pour maximiser l’impact de la diaspora, créer une instance indépendante à vocation internationale avec un siège à Genève
Enfin, pour coordonner ces efforts et pour que ces actions aient le plus d’impact possible, il est impératif de doter la diaspora arménienne d’un organe représentatif à l’échelle mondiale. Trop souvent, les réactions ont été ponctuelles, fragmentées et réactives, singulièrement depuis la guerre des 44 jours en 2020.
Un tel organe, doté d’une capacité d’intervention diplomatique, juridique, médiatique, permettrait de structurer la voix de la diaspora dans les instances internationales. La Suisse, neutre et siège de nombreuses organisations internationales, pourrait avantageusement accueillir une telle structure. Le Conseil des associations arméniennes et arménophiles de Suisse (CAAS) pourrait initier une rencontre en ce sens.
Ce projet n’est pas une utopie. Il serait le symbole d’une diaspora qui, pour la justice et la vérité, refuse de céder au fatalisme et s’engage pour un avenir dans lequel l'Arménie et les Arméniens puissent vivre en paix, dans la dignité et en sécurité avec une Turquie enfin démocratique.
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