Alain Navarra_Navassartian, PhD sociology, PhD art history
Comment peut-on envisager les accords de paix proposés par l’Azerbaïdjan après la guerre des 44 jours, 5.000 soldats tués, l’abandon de 120.000 individus chassés de leur terre ancestrale après un blocus illégal, la violation de différents droits humains et de certains droits de la guerre ?
L’Azerbaïdjan a imposé le bien fondé de ses entreprises guerrières. Sa guerre ne pouvait être que juste puisque l’UE et certains pays occidentaux l’ont soutenu sans remords, permettant au rapport du droit et de la force de s’inverser, encore une fois. Il nous reste à constater comme l’a fait Clausewitz que la guerre est la politique menée par d’autres moyens au détriment de l’exode d’une population entière et au mépris du sacrifice de 5.000 hommes que l’on a amputé de leur combat jusqu’à perdre le sens profond de ce conflit. Une guerre et surtout une sortie de conflit qui est devenue le prolongement d’une politique mercantiliste et atlantiste désordonnée menée par les Occidentaux, prêt à tout, encore une fois, pour complaire à leurs « alliés » la Turquie et l’Azerbaïdjan. L’architecture normative de l’ordre international se fait par jeu de pouvoirs mais aussi au travers de valeurs et d’idées dominantes. Nous avons beaucoup écrit sur l’invisibilisation de la souffrance de certaines populations comme celle des Arméniens de l’Artsakh mais il s’agit, dans cet article, d’envisager quelle idée de la collectivité reste acceptable après un tel cataclysme et quelles formes de résistance sont encore possibles.
STRATÉGIES HYBRIDES POUR GUERRE HYBRIDE
L’Azerbaïdjan a parfaitement utilisé des stratégies hybrides qui ne se développent pas uniquement sur les lieux du conflit et dans la guerre cinétique. La guerre hybride a montré comment les stratégies indirectes étaient importantes dans ce conflit, les actions coordonnées sur l’ensemble des capacités arméniennes : population, structures civiles, économie, diplomatie culturelle, champs immatériels de désinformation, de pressions diplomatiques, etc. Un ensemble d’actions, faisant pour certaines fi du respect du droit international, particulièrement efficaces face à un arsenal militaire défaillant et à une impréparation à bien des niveaux. Si le concept de guerre hybride reste parfois flou (nous l’utilisons ici car il domine les propos de nombreux intervenants européens), ses conséquences politiques sont concrètes, la tentative de polarisation de l’opinion publique européenne par l’Azerbaïdjan, notamment. Il est évident que l’armement et les mutations technologiques de la guerre sont des éléments essentiels, mais les systèmes de lutte immatériels et certains facteurs influencent le comportement des combattants ainsi que le regard porté sur le conflit par les acteurs internationaux, comme le fait de violer ou pas le droit international : le caractère criminogène de la guerre, la définition des buts de la guerre, la raison d’opportunité. Le désengagement moral autorisé par une certaine attitude occidentale a favorisé, par exemple, des violations du droit de la guerre par l’Azerbaïdjan. Comportement facilité par la déresponsabilisation et la justification des comportements des « troupes » azerbaïdjanaises par le gouvernement mais aussi par ses alliés occidentaux. Si on tolère les violations des normes ou des principes juridiques internationaux on perd le bénéfice symbolique de la norme même si elle ne garantit pas un comportement toujours adéquat, elle reste encore un frein dans la spirale de la violence. Quand sera-t-il après la guerre que nous vivons au Moyen-Orient ?
La vulnérabilité collective de la population arménienne de l’Artsakh est très certainement la variable qui entraîne cette population, comme une majorité d’arméniens ou d’individus d’origine arménienne de par le monde, à douter de l’application du droit international dans la résolution de ce conflit.
On doit reconnaître à Bakou sa capacité à cadrer et à imposer son interprétation des faits, notamment sur le patrimoine arménien ou sur certains épisodes de la guerre, mosquées transformées en étables, etc. Cette désinformation discrète au début, mais persistante, devient donc un fait. Précisons que cette stratégie de la communication a fait gravement défaut au gouvernement arménien.
La manipulation de l’information n’est pas un fait nouveau, mais l’utilisation des réseaux sociaux et leur rapidité ont changé la donne dans l’information autour du conflit des 44 jours et de la période qui a suivi le cessez-le-feu. Là encore, l’utilisation stratégique par l’Azerbaïdjan de certains réseaux sociaux : X (Twiter) et Facebook en particulier a été importante dans la description des faits et dans la façon d’imposer la « réalité » des faits, arrivant à la relativisation de la notion même de vérité. L’utilisation des instruments de la persuasion comme l’information est un outil essentiel. L’information sert à propager une vision de l’État et de la société azerbaïdjanaise, un narratif plausible à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. La manipulation du champ discursif, la manipulation de certains médias ou de certains producteurs de savoirs a été mise en place très rapidement durant le conflit. Première cible : le patrimoine religieux arménien devenu la production des « Albanais du Caucase » à grand renfort de textes « scientifiques ».
En appliquant les techniques des relations publiques, le gouvernement azerbaïdjanais a parfaitement fait passer son message dans un monde occidental prêt à le recevoir sans sourciller. Le gouvernement azerbaïdjanais mène une campagne active de communication sur son image : pages de publicité à destination du tourisme, organisation d’évènements sportifs, financement d’évènements culturels ou de travaux de rénovation de divers monuments en Europe, comme le projet des catacombes de Comodilla à Rome en partenariat avec le Vatican. Ce dernier projet s’inscrivant dans la dynamique d’échanges interreligieux voulue par le pape François. Mais cette politique de soft power de l’Azerbaïdjan a été mise en place depuis un certain temps déjà : restauration du bas-relief de la rencontre du pape Léon Ier et d’Attila de St Pierre de Rome. Rappelons aussi que le pape n’a pas désigné l’Azerbaïdjan comme agresseur, mais a simplement déploré la crise dans le Caucase du sud. Se rallier des intermédiaires influents dans le monde occidental est une stratégie bien rôdée des régimes autoritaires, il s’agit moins dans le cas de l’Azerbaïdjan d’imposer une idéologie que de manière opportuniste recruter des alliés de choix. Démontrer, avec l’aide de ces alliés, que l’Azerbaïdjan est un partenaire économique, culturel et géostratégique d’importance adhérant aux valeurs universelles de l’occident a été un travail mûrement pensé par le gouvernement du pays, qui a saisi l’importance de la culture dans les relations internationales, objet de prédilection des pouvoirs. L’Azerbaïdjan en a fait une sorte de « missile » idéologique, et a mis en place des stratégies culturelles qui sont devenues des outils de prestige et de visibilité. Même si l’universel semble, aujourd’hui, un mythe sans réelle objectivité, mais que l’on impose comme une vérité objective, s’acheter une image convenable pour les instances internationales et dans les instances internationales est important pour les régimes autoritaires. Il est à regretter que les stratégies arméniennes mises en place pour invalider les calculs de l’Azerbaïdjan et notamment son passage à l’acte (une situation gelée ne reste pas gelée ad vitam eternam) ont été presque inexistantes ou mal préparées. La licéité du secret a accompagné tous les épisodes désastreux de cette guerre, il est donc difficile de comprendre quelles stratégies et tactiques on voulait mener dans le camp arménien.
La communication est un enjeu essentiel des outils de la guerre. L’opinion publique européenne, aux prises avec la guerre en Ukraine à ses portes, n’a pas, in fine, apporté tout le soutien nécessaire à la population arménienne. Et ceci, malgré une communication essentiellement située dans le champ humanitaire. La non-résistance par différents moyens et pas seulement militaires est dangereuse. Surestimer les bonnes intentions d’autrui est un manque de réalisme politique. Une paix peut très vite s’avérer n’être qu’une simple soumission qui peut se transformer en servitude. A-t-on bien mesuré le calcul d’intérêts des alliances ? Pense-t-on qu’elles pourront empêcher tout désir d’hégémonie de la Turquie et de l’Azerbaïdjan ? Peut-on appeler cela une paix ? Certaines décisions peuvent apparaître, pour les populations, comme la simple manifestation du courage des lâches, d’autant plus que cette paix n’est en aucun cas fondée sur le droit. Il n’y a aucun consentement de la volonté du président Aliev à la loi et aucune exclusion de la violence, il suffit d’écouter son discours prononcé à Latchine. Une paix réelle dépend du régime politique en vigueur dans les États, qu’en est-il donc des régimes autoritaires ou félons comme l’Azerbaïdjan qui bafouent le droit international qui est censé garantir la paix ?
Il faut sortir la cause arménienne du marché de « l’humanitarisation » qui en modifie les structures de pensée et d’actions. Tout marché a des impératifs, notamment celui de la promotion. Donc on a assisté durant la guerre des 44 jours et le blocus qui a suivi à une accumulation d’images tragiques et de tragédies gérées de façon plus ou moins rationnelle faisant émerger l’image de la victime résiliente. On en oublierait presque que dans les communautés traditionnelles arméniennes, il y avait une prétention et une volonté à gérer sa destinée, y compris les armes à la main. Les victimes ne vivifient en rien les communautés politiques défaillantes. Sinon les faire plonger dans un tiers ordre humanitaire et déployer la cause arménienne, essentiellement sur le marché caritatif qui privilégie le cœur sur la raison, mais surtout le cœur sur le droit de ce peuple. D’autant plus que les victimes arméniennes sont dévalorisées, voire exclue du conflit. Elles ne sont qu’une bande de « désespérés » ou de séparatistes, hors du champ politique.
Cette guerre, comme d’autres, ne s’est pas faite selon les usages occidentaux mais le monde occidental entérine le fait par ses silences embarrassés. On impose donc à certains une vision de la guerre conforme au droit international alors que l’on autorise à d’autres, et sans vergogne, un emploi de la force sans éthique. La cohésion populaire d’un peuple entier et sa détermination sont des vecteurs essentiels pour faire comprendre au monde le péril d’une guerre même si la veulerie générale impose le silence. « Jusqu’à quand allons-nous mourir ? » pourraient demander les Arméniens, les Kurdes ou toutes les victimes civiles des conflits au Moyen-Orient. Compter les morts, un exercice hautement politique en temps de guerre, mais la mort d’un individu n’a pas la même valeur pour tous puisqu’il a y des civils morts qu’on ne saurait voir. Il reste donc que la fermeté est un acte de combat, les opinions publiques, parfois les puissances étrangères, s’impliquent de manière positive pour un peuple opprimé ou en danger, mais seulement si un mouvement de résistance a déjà ébranlé l’édifice de domination. La résistance ukrainienne en est un bon exemple.
Comment une pratique de résistance individuelle peut passer au collectif ?
Pour rendre compte d’une unité sociale donnée en Arménie, comme en diaspora, on invoque le « ciment » culturel, voire spirituel, mais jamais on interroge les formes de pouvoir. La majeure partie des discours, interventions du leadership diasporique ou gouvernemental arménien ne font que renforcer l’idée d’intrication des rapports de domination et de culture politique, une dépendance acceptée voire intériorisée. Le terme de « dhimmitude » revenant souvent sous la plume de quelques chercheurs, politologue ou géopolitologues. La phobie d’une fin fantasmée produit la réalité d’un pouvoir assujettissant des assujettis consentants (J.P Dolle.2004). Difficile de penser l’évolution du système de leadership diasporique ou du système étatique arménien, même si l’État ne se laisse pas facilement définir.
« L’indécision est la souveraine des égarés.. »
Cette guerre a montré les changements profonds qui influent sur les opérations militaires, notamment technologiques. On nous a assez répété que l’Arménie avait la capacité de s’adapter, voire d’adapter de nouvelles technologies, mais inventer la rupture technologique de la guerre ne s’invente en une poignée de secondes. Il s’agit donc de mettre en place une stratégie industrielle pour aborder ces changements : drones, IA, etc. Tout comme la mise en place d’un ensemble de stratégies de combinaisons défensives afin de déjouer les calculs adverses ?
Rien n’est moins sûr et de toute façon, là encore, le secret ne permet qu’à des « initiés » de connaître la réalité d’une résistance aux desseins adverses. La défaite n’est pas seulement un phénomène militaire, elle est aussi un moment qui révèle des ruptures et provoque une multitude de comportements. Elle a été seulement envisagée comme une « pathologie » héritée des gouvernements précédents, mais a-t-on seulement entrevu une organisation nouvelle de la collectivité ou une idée acceptable de la collectivité après ce désastre ?
De plus la volonté du gouvernement arménien de complaire aux occidentaux après une valse-hésitation n’a fait qu’abaisser le seuil de réaction des partenaires occidentaux même lorsque l’Azerbaïdjan a dépassé ce seuil de réaction qui fait ou pas intervenir un État ou se réveiller une opinion publique. La résistance passe par les armes, je n’en disconviens pas, mais elle est aussi le fait de diminuer une force ou une violence subie par différents autres moyens. Alors que les pays occidentaux tergiversent et ne réussissent pas à sortir de « l’éthique sans performance » mais cherchent de nouvelles voies face au retour de la force, il est encore possible pour les Arméniens de contester l’activisme culturel de l’Azerbaïdjan. Il est évident qu’il ne s’agit pas de comparer les tactiques de la guerre cinétique et des stratégies immatérielles, mais il y a une logique d’actions pour mener de façon collective une résistance aux discours dominants et aux actions politiques qui ont mené à l’exil de 120.000 individus. Cela demandera du temps pour construire une solidarité efficace et un réel sentiment collectif, d’autant plus que les discours ou interventions du premier ministre arménien sont souvent incompréhensibles vis-à-vis de la diaspora. Les modalités des luttes et l’organisation collective est très certainement un sujet intéressant à étudier en Arménie où les ONG sont si nombreuses et influent sur les pratiques de résistance.
Comme nous l’avons déjà souligné, l’intention d’hostilité de l’Azerbaïdjan ne disparaîtra pas avec la signature d’accords de quelque nature soient-ils. La paix est l’œuvre d’une volonté. La volonté de « retrouver la pureté du territoire », maintes fois exprimée par le président Aliev, ne laisse rien envisager de serein pour l’avenir. Résister, c’est aussi renforcer la détermination d’une population et sa confiance en elle-même. Cette paix négociée ne sera pas évaluée sur les droits et les torts des deux camps, on s’en doute bien, les vrais résultats sont obtenus par l’évaluation du pouvoir des groupes qui s’opposent. Il y a donc des stratégies d’arrangement à mettre en place après une défaite et différents niveaux de mode de consentement.
LUTTE INFORMATIONNELLE
Dans ce conflit et ses suites, la lutte informationnelle a été prépondérante. Toucher en amont les opinions publiques est un facteur essentiel, pas seulement dans le champ humanitaire. Mettre en place les conditions de dissuasion informationnelle de façon stratégique est un enjeu envisagé par l’ensemble des pays. Le système médiatique, comme la capacité d’action sur les réseaux sociaux, aurait pu être plus significatif : l’utilisation des trolls ou les méthodes de viralisation ont été des instruments largement utilisés par l’Azerbaïdjan. Les mythes sont importants en géopolitique, semble- t-il, mais ils peuvent coûter très cher à la population arménienne. Connaître ses dépendances, les réduire et savoir les gérer est une réflexion importante à mener pour un gouvernement tout comme mettre en avant ses points forts. Une interdépendance choisie et réfléchie est toujours préférable à une politique de girouette affolée.
On peut s’étonner, par exemple, que le creusement des lignes de faille entre l’Arménie et ses diasporas, politique rondement menée par l’Azerbaïdjan et la Turquie, ait trouvée un écho dans le gouvernement arménien, alors qu’il s’agit d’un moyen de déstabilisation évident. La manipulation des perceptions de cette guerre a été un enjeu crucial et l’absence de volonté du gouvernement arménien à mettre en place des moyens pour s’opposer à certains aspects de ce conflit hybride a laissé planer un doute sur sa volonté de résistance. Personne ou pas grand monde ne veut saisir qu’il n’a jamais été question de rendre le gouvernement actuel responsable de l’état prédateur instauré par ses prédécesseurs. Mais un ensemble de réactions du gouvernement a entrainé un questionnement populaire sur le fonctionnement, les choix, les options , la communication et enfin de compte la légitimité de ce gouvernement à prendre certaines décisions. Le « tout était déjà prévu » est devenu une litanie entendue de par le monde dans les diverses diasporas et en Arménie même.
Il n’existe pas de conflits dont les effets sont indépendants des cadres d’interprétation qui en sont donnés, la guerre Israël/Hamas en donne encore un exemple. Donner une définition légitime de la situation est un enjeu essentiel, c’est une manière de percevoir la réalité du conflit et va permettre des justifications et des légitimations en terme éthique, juridique ou politique. Une construction de sens dépend des évènements précédents et une analyse chronologique remontant au-delà de 1992 est nécessaire pour comprendre l’apartheid (Taner Akçam.2023) dans lequel ont vécu les Arméniens de l’Artsakh depuis 1918.
Il reste aujourd’hui une adaptation du pays aux paradigmes développementalistes des projets de paix proposés aux Arméniens. Le marketing de la rébellion fonctionne bien. Les bailleurs de fonds ont obtenu ce qu’ils souhaitaient, l’abandon et l’exode d’une population entière. Les espaces de mobilisation pour la population et pour l’Arménie ont laissé la place à un champ humanitaire élargi qui permet, il est vrai, l’accès aux subsides occidentales. Le nombre d’appels à projet permet de faciliter le processus de paix, mais favorise aussi l’hétéronomie des formes de développement du pays, tout en marginalisant le contexte de production de la pensée politique.
L’approche rationnelle de la guerre des 44 jours et ses conséquences est évidemment nécessaire, mais l’instrumentalisation du symbolique par le président Aliev a joué un rôle important dans sa stratégie. En miroir les Arméniens tentaient de compenser l’asymétrie des forces militaires et des soutiens internationaux en mettant en avant un meilleur statut moral. Il est certain que ces stratégies ne peuvent avoir d’échos et de succès qu’en raison des attentes éthiques existantes dans l’opinion des pays destinataires. La question se pose donc : de quel genre de reconnaissance ont bénéficié les Arméniens ? Celle de leurs droits ? Celle de leurs propres valeurs ? Celle d’un discernement moral supérieur à celui du gouvernement azerbaïdjanais ? On peut en douter.
Sortir d’un conflit armé qui menait de toute évidence à une impasse militaire n’est pas une chose facile, surtout quand l’ennemi est « l’ennemi absolu ». Négocier dans ces circonstances est tout aussi difficile surtout que le premier ministre arménien a répété à l’envie que l’on ne négocierait pas avec Aliev. La confusion des discours officiels arméniens n'a fait qu’ajouter à la confusion originelle sur cette guerre. Faire valoir une certaine image de soi et de sa collectivité est un enjeu pour fortifier une légitimité internationale et cela tient aussi à un capital symbolique.
On annonce un rapprochement positif entre Bakou et Erevan, mais dans le même temps des vidéos circulent pour préciser qu’il y a un Azerbaïdjan occidental (l’Arménie) et que Vardenis sur le territoire souverain de l’Arménie doit changer de nom vu son appartenance « historique » à l’Azerbaïdjan.
La paix est l’œuvre d’une volonté. Penser que les choses en resteront là est une illusion. Une paix peut très vite s’avérer n’être qu’une simple soumission qui peut se transformer en servitude. A-t-on bien mesuré le calcul d’intérêts des alliances ? Pense-t-on qu’elles pourront empêcher tout désir d’hégémonie de la Turquie et de l’Azerbaïdjan ? Peut-on appeler cela une paix ? Certaines décisions peuvent apparaître, pour les populations, comme la simple manifestation du courage des lâches, d’autant plus que cette paix n’est en aucun cas fondée sur le droit. Il n’y a aucun consentement de la volonté du président Aliev à la loi et aucune exclusion de la violence.
Comment refuser l’assistance technique, l’aide humanitaire, l’idéologie du progrès et du développement, un don se refuse-t-il ? Même au prix de l’abandon de la population arménienne de l’Artsakh ? Mais pour cela il y a une thérapie : la politique de modernisation et de développement, il suffit pour cela de se présenter désarmé et sans défenses, d’adopter le regard de l’autre et de dire qui l’on est avec ses mots comme de lutter avec les seules forces de l’autre. L’exode d’une population entière et la supposée fin du conflit est une victoire pour beaucoup, mais il ne s’agit que d’une victoire sur l’humanité d’un peuple.
Les conflits se déroulent, aussi, autour des enjeux symboliques et il en a résulté la dépersonnalisation de l’autre, « l’Arménien du Haut-Karabagh » dont on a mené l’élimination pure et simple comme identité culturelle et par conséquent comme entité politique correspondante. Dans cette guerre comme dans celle qui suivront, semble-t-il, l’absence de qualité morale ou politique ouvre la porte à de nouvelles stratégies de domination et de satellisation.
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