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Violence, tortures et assassinats en Tchétchénie



Comment nommerons-nous ce qui se passe en Tchétchénie contre des homosexuels ou supposés tel ? Mauvais traitement, violation de leurs droits ou oserons-nous nommer cela torture ?

La Tchétchénie, qui a connu deux conflits et déjà l'utilisation de la torture, par l'armée russe durant le second conflit de 2000, avec un déficit d'intérêt de la part de l'occident pour ces exactions, voit de nouveau s'abattre sur elle le spectre des opérations spéciales.

Photo: Zelim Bakaev/Twitter

Cette fois, c'est une purge anti-gay qui est mise en place par le régime. C'est la criminalisation de ces individus qui a entraîné et permis leur incarcération et les tortures infligées. Les services d'Etat coordonnent une homophobie, d’ailleurs très répandue dans l'ensemble du Caucase. Combattre l'homosexualité parce que contre nature, contre la loi divine et contre la nation sont des arguments qui reçoivent l'approbation de la population.

"Purifier le sang de notre peuple" est une des justifications donnée à l'homophobie par Kadyrov. Ces actes qui ont pris en Tchétchénie une ampleur particulière soulèvent bien des questions.

Tout d'abord d'ordre juridique, puisque le cadre juridique international contre la torture et pour le droit des prisonniers ne tient pas compte des spécificités des formes de torture vécues par ces groupes. Dans le cas présent, la Russie s'étant retiré de la cour pénale internationale en 2016, les recours sont inefficaces.

Il existe, dans un grand nombre de pays, des lois discriminantes permettant des situations abusives, comme la criminalisation des rapports sexuels entre deux adultes de même sexe dans la sphère privée.

STEREOTYPE DE GENRE ET DE SEXE

Quant aux discours tenus par les dirigeants des pays les plus homophobes, ils sont toujours fondés sur des stéréotypes qui permettent une catégorisation qui à son tour confère au stéréotype plus qu'une existence, une essence. Les propos méprisants ou haineux, fondés sur ces stéréotypes, cherchent à acquérir une dimension consensuelle.

C'est une logique essentialiste. On explique donc que ce que les gens font, leur conduite, s'entend parce ce qu'ils sont, leur nature. D’où l'importance de mettre l'accent sur le "crime" commis par les homosexuels. Ce processus de catégorisation amène bien vite à la discrimination qui touche d'autres catégories que le seul groupe LGBT. A Berlin, la communauté tchétchène, après des manifestations contre les purges de Kadyrov, s'en est pris à des jeunes filles tchétchènes qui semblaient en rupture avec la tradition. Voilà bien une des menaces des stéréotypes, c'est que des populations ou des individus sont amenés à se conformer au stéréotype. Les groupes les plus en péril sont d'ailleurs ceux qui sont affublés d'un stéréotype d'infériorité.

Ces discriminations basées sur le genre et l'orientation sexuelle sont répandues dans l'ensemble de la région. L'Azerbaïdjan vient de rafler plus d'une centaine d'individus. On retrouve toujours des schémas de domination masculine, de mécanismes d'assignation archaïques et de sexisme. L’écroulement du régime soviétique, les périodes de renationalisation des pays caucasiens, la déroute sociale et économique, les nationalismes et les fondamentalismes religieux et, pour beaucoup de ces pays, une culture de la violence et une hyper militarisation ont entraîné un changement des masculinités qui se sont retrouvées réaffirmées dans une relation complexe avec les idéologies résiduelles et émergentes.

C’est une masculinité "exemplaire", une idéologie masculine célébrant la survie du "plus fort" qui autorise l'infra-humanisation des minorités sexuelles. "Ils sont écoeurants" précise Kadyrov en parlant des homosexuels et exploitant une notion largement exploitée pour parler des homosexuels. Ecoeurants parce qu'associés à différentes menaces sur la tradition, les valeurs ...

Dans ces pays où la sociabilité LGBT est faible, le mépris pour ce groupe est d'autant plus grand. Les discours homophobes tendent à faire percevoir la personne LGBT comme sans caractéristique de l'être humain : moralité, raison, civilité (...) provoquant un déficit d'empathie pour des individus déshumanisés.

ORIENTATION SEXUELLE ET GENRE : ENJEUX POLITIQUES

Il est rare que les rhétoriques nationalistes fassent explicitement référence à la sexualité pour asseoir leur force de conviction, mais elle en est pourtant rarement absente. La logique genrée qui assigne des places bien précises aux hommes et aux femmes met en place une censure rigide qui introduit la violence dans la lecture du nationalisme. La dichotomie entre hommes et femmes est orchestrée pour démontrer que la nation est avant tout un projet hétéro-masculin. Cette dichotomie se retrouve entre hommes et "féminisés", catégorie à laquelle appartiennent les homosexuels.

Les pays les plus agressifs contre les communautés LGBT sont ceux qui ont mis en place des politiques nationalistes qui commandent des attitudes sexuelles et proposent un contrôle des corps, tout d'abord féminin puis des corps "différents". Si la Nation est belle, qu'elle a pour emblème des statues féminines gigantesques, elle s'adresse prioritairement à des hommes forts et convaincus de leur identité sexuelle, sans grand désir de partage. L’âge d'or des nations a toujours été fait pour les "mâles", les mythes ont été écrits par eux. Ne nous étonnons donc pas que la femme ou ses "ersatz " contemporain, le groupe LGBT, soit toujours accusés d'être l'instrument de la chute.

Les communautés nationales définissent sans cesse dans les termes de la sexualité les frontières du normal et de l'acceptable. On a pu le constater dans l'avant-seconde guerre mondiale où la figure du Juif est associée à l'efféminé antipatriotique, durant les manifs contre le mariage pour tous de 2012-2013 en France et dans bien d'autres cas. Ce qui soulève bien des réflexions sur la production de formes hégémoniques. Les figures répulsives du nationalisme viriliste, analysées par Georges Mosse, ont-elles vraiment changées ?

Il ne s'agit pas de brandir le spectre d'une guerre "culturelle" dont les revendications des droits LGBT seraient la nouvelle ligne de front entre un occident libéral et pro-LGBT et les "autres", pays africains ou musulmans, entre autres. Cette posture n'est pas viable car elle ne prend pas en compte les réalités vécues par les minorités des différents pays de cet occident "sexuellement avancé" où l'hostilité et les actes de violence sont loin d'avoir pris fin, sans aucune comparaison cependant avec l'insoutenable situation tchétchène. Mais à l'inverse ne tombons pas dans une critique irréfléchie d'un impérialisme sexuel occidental, thématique souvent utilisée pour justifier des actes injustifiables. Théorie selon laquelle les identités sexuelles minoritaire seraient ou dériveraient de modèles occidentaux. Vision essentialiste qui masque tout d'abord la pluralité et la diversité des sociétés autres qu'occidentales et aujourd'hui largement critiquée. Les identités sexuelles minoritaires ont existé dans les pays non occidentaux bien avant l'internationalisation des revendications des droits pour les personnes LGBT.

Par contre à l'instar des critiques sur le féminisme global ou transnational, il faut saisir in situ les formes d'oppression et d'organisation des luttes menées par les minorités sexuelles tout en tenant compte des interactions et des confrontations avec le monde occidental. Les oppositions tranchées occident-homosexualité / hétérosexualité-non occident sont des pièges dangereux.

Ce qui se passe en Tchétchénie nous montre bien que la violence du pouvoir n'est pas seulement d'ordre irrationnelle, celle d'un fou ou autre. Bien au contraire, Kadyrov utilise tout un ensemble de rationalités pour parvenir à cette purge : politique, géopolitique, contexte géographique, contexte coutumier ...

EVIDENCE

Mais ce qui reste évident, c'est la vigilance que nous devons toujours montrer dans la lutte contre l'homophobie où qu'elle se situe. L'homophobie est une manifestation comme la xénophobie ou le racisme qui consiste à désigner l'autre comme contraire, inférieur, ou anormal. Elle est un obstacle à la pleine réalisation des droits, elle est une forme d’infériorisation. Elle est le combat de tous et pas seulement des personnes LGBT, car ce combat en appelle à notre conscience. Il s'agit du droit d'exister dans notre singularité.

Aujourd'hui ce sont des personnes LGBT qui emprisonnées et torturées. Et demain ? Qu'est-ce qui fera passer une population "normale" à une population stigmatisable et discréditée ?

En Tchétchénie, cette homophobie n'est pas juste une exclusion. Elle a des conclusions matérielles. Ces êtres humains sont des criminels qu'il faut éliminer et la pression est si forte que les parents eux-mêmes tuent leurs enfants pour se laver de la honte.

Quels sont les moyens pour lutter contre ces crimes ? Mener des actions en justice auprès des instances internationales ? Sommes-nous vraiment dupes? Si les acteurs locaux ou la Russie ne se mobilisent pas la situation ne changera pas.

Alors il faut continuer à dénoncer ici, là-bas et ailleurs pour éviter l'indifférence, la désinformation et la violence. Parce que la liberté de se construire par delà des identités fermées est essentielle. Parce que la diversité est l'exercice d'une liberté, nous devons pouvoir reconnaître et défendre la pluralité de l'identité. Etre conscient de l'altérité, car c'est se rendre compte des similitudes, mais aussi des différences, s'intéresser à ces différences. Ce n'est ni de l'altruisme, ni de la tolérance. Juste la conscience que tout personne humaine doit être traitée en égalité de dignité.


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