Dr. Alain Navarra-Navassartian. PhD.Histoire de l’art ; PhD sociologie.
Un nouveau cycle de négociations a été ouvert à Bruxelles le 15 juillet 2023, sous les auspices de l’Union Européenne qui assure par la voix de Charles Michel que les discussions ont été « honnêtes et substantielles ». Évidemment il ne manquait pas à l’ensemble des discours, le passage obligé sur la solidarité et l’humanitaire.
Mais de quelle solidarité parlons-nous ? Alors que depuis un certain temps l’Union semble engluée dans un processus de faiblesse, pire encore, de lâcheté. La crise Ukrainienne et la guerre ont révélé le retour de la notion de puissance et de la force impensée par une Europe qui a « coup de soutien humanitaire » continue de faire de la politique. Pourtant les dirigeants des régimes autoritaires ne cessent de clamer la vision alternative au « monde occidental décadent » et imposent leur représentation géographique de leur territoire. Peu importe que des populations, comme les Arméniens du Haut-Karabagh (Artsakh), se retrouvent victimes d’un espace idéalisé du roman national azerbaïdjanais. Il ne s’agit pas ici d’entrer dans un débat sur les changements de vision stratégique que l’Europe sera amenée à faire, la grammaire de la guerre a changé, et la guerre des 44 jours en Artsakh a été un excellent laboratoire avant la guerre en Ukraine. Il ne s’agit pas non plus de revenir sur l’immaturité d’un gouvernement arménien qui, par manque de connaissances, d’imagination ou de lacunes importantes de ses conseillers, n’a pas mis en place une stratégie post-conflit.
Il y a différents modes d’expression de la puissance et dans différents domaines : diplomatique, juridique ou culturel, etc. On peut également mener une contestation qui en appelle soit aux règles communes, soit les remette en question. Tout cela demande la mise en place d’une stratégie communicationnelle qui va permettre au perdant d’une guerre d’élargir son champ conceptuel de consentement à la défaite. Mais pour que tout cela fasse sens, il faut savoir gérer l’irruption de la nouveauté dans l’histoire, le sujet doit éprouver ses habitudes, son caractère, répondre de ses capacités face à une situation nouvelle qui vient bouleverser le cours de l’histoire et des « coutumes ». Nous sommes devenus responsables de la responsabilité de dirigeants qui abandonnent 120000 individus arméniens au bon vouloir éthique des Occidentaux.
Une solidarité pour ce peuple arménien de l’Artsakh, qui semble être seulement expressive mais qui se double d’un évident cynisme politique. On a la désagréable impression que la grave crise que traverse cette population est un simple effet collatéral de la crise plus importante que traverse l’Europe. Solidarité bien mal partagée, on espérait la voir surgir à gauche avec plus de détermination, mais c’est à droite qu’elle fut le plus clairement exprimée, avec le risque de tomber dans un conflit civilisationnel. Ne voulant pas avouer soit leur impuissance, soit leur volonté de complaire au chef d’un gouvernement autoritaire qualifié de « partenaire de confiance », certains politiques conduisent ou conduiront des électeurs de plus en plus nombreux à s’interroger sur l’existence des responsabilités politiques ici même. Qui peut encore croire à la loi internationale si tous les jours nous constatons que l’impunité soutenue par une déroute stratégique de l’Europe laisse le champ libre aux crimes commis par des États félons ? C’est une impuissance du droit qui aura des répercussions jusque dans nos démocraties. Sommes-nous devant la disparition « d’une communauté démocratique » ?
On nous objecte toujours le relativisme, mais c’est sur la dénonciation du mensonge et notamment en politique que repose le réveil de la conscience éthique qui permet de dissocier les valeurs et les intérêts, c’est-à-dire de pouvoir penser à l’échelle universelle comme le prétendent si souvent les dirigeants européens.
La guerre en Ukraine a un effet paradoxal. D’un côté, elle fait prendre conscience aux États européens de l’erreur qu’ils ont commise en refusant de s’assumer comme acteur stratégique à part entière face aux défis de sécurité, mais ce choc ne semble pas assez fort pour les sortir de cette erreur. Quand l’Europe se trouve confrontée à des rivalités de puissance, elle démontre qu’elle n’est pas une réelle puissance de paix, juste un agent. On ne peut que se demander sur quelles positions s’alignent l’Europe dans le bal des dupes que constitue cette journée du 15 juillet à Bruxelles.
RÉALISME VS NÉO-IDÉALISME
Nous avons souvent souligné l’injustice du traitement du conflit des 44 jours, tout comme nous l’avions fait pour la Syrie ou le Yémen, tentant de respecter les normes de la technicité des discussions mises en place par les ONG depuis plus de vingt ans. Mais aujourd’hui il est plus difficile de rester totalement détaché et n’usant que du vocabulaire technique de l’universitaire ou du président d’ONG. Il s’agit de mon peuple.
Mais la posture contestataire ne peut s’exprimer que par ce canal puisque tout autre espace est interdit à ceux qui veulent défendre le droit à la vie de cette population arménienne. Il est évident que l’impact de nos actions, répétées depuis 2020, est difficile à évaluer, puisqu’avec l’assentiment de tous, les États autoritaires se jouent des discours universalistes et des droits humains. Comment quand on est personnellement impliqué ne pas être englouti par « l’impérialisme de la vertu » (Dezalay/Garth.2000) qui impose les normes de la contestation, mais aussi de la domination tout en réduisant le sens du politique au seul champ de conscientisation pour la démocratie ? Que les populations comme les Arméniens de l’Artsakh acceptent ce magnifique paquet cadeau : une paix néo-libérale qui fait fi de leur existence et avec en prime un discours autocentré qui leur promet que le président Aliyev respecte leurs droits.
Comment affirmer vouloir valoriser l’avantage concurrentiel des démocraties sur les autocraties en construisant des sociétés plus inclusives et soutenir sans vergogne un gouvernement tel que celui de l’Azerbaïdjan dans sa volonté d’éradiquer ou de pousser à l’exode une population entière d’autochtones ?
Si les considérations éthiques semblent bien inutiles aujourd’hui, alors qu’une nouvelle cartographie des influences se met en place, quelle orientation veut donner l’Europe aux politiques de puissance ? La proposition faite à l’Arménie pour l’abandon de cette population est d’ordre économique, mais il serait naïf de croire que cela empêchera la géopolitique des territoires menée par la Turquie et l’Azerbaïdjan. Cette guerre est devenue un instrument au service de l’État azerbaïdjanais et la signification politique du conflit transcende la seule dimension militaire. C’est peut-être plus la destruction de l’État ennemi qui est visé (l’Arménie) que la destruction de la population arménienne du Haut-Karabagh ? Le sentiment d’hostilité ne s’arrêtera pas avec les allégeances diverses de N. Pachinian. Une paix réelle dépend du régime politique en vigueur dans les États, qu’en est-il donc des régimes autoritaires ou félons comme l’Azerbaïdjan qui bafouent le droit international qui est censé garantir la paix ?
On a souligné que ce qui arrivait à la population arménienne du Haut-Karabagh était un énième écho de l’histoire pour ce peuple, mais plus encore c’est une remise en cause de l’ordre international basé sur la règle et la justice, le seul ordre dans lequel les petits pays peuvent exister.
Il ne s’agit pas seulement de chercher la responsabilité d’un échec sur la destinée, l’identité collective victimaire, la dhimmitude, etc. Il s’agit aussi de s’interroger sur la défaite afin de l’expliquer et de la comprendre. Ce moment de l’histoire arménienne que représente la guerre des 44 jours et ce qui en découle est un moment en charge de tout le passé, mais aussi de tout l’avenir. Tout instant historique porte en lui son propre jugement. Faut-il attendre de l’autre une supposée compassion ? « Ce n’est pas l’histoire qui juge les actions humaines, ce sont elles qui jugent l’histoire. Chaque moment du temps porte un jugement sur certains moments qui l’ont précédé. » (C. Requena).
Le récit proposé par le gouvernement arménien se retrouve tronqué car il ne parle plus au nom d’une communauté : afin de complaire au gouvernement turc, Nikol Pachinian a eu des propos malheureux envers les diasporas, acceptant une mémoire commune tronquée. Il ne s’agit pas d’appeler les diasporas à se réveiller alors que de plusieurs manières on leur a intimé l’ordre de se taire quelques mois auparavant. Ainsi de façon désordonnée, si ce n’est sur le plan humanitaire, les diasporas ont mené leur combat pour la survie de 120000 individus de notre peuple, sans un soutien clair du gouvernement qui a fait de la licéité du secret permanent un mode d’action. La sortie de cette guerre est floue, en tous points, la défaite est présentée de façon plus morale que militaire oubliant les enjeux futurs des accords signés et la mort de 5000 hommes.
Ne restent que l’éternelle compassion et la victimisation des combattants qui fait oublier les raisons réelles du conflit. Tout est ramené à l’individu, en oubliant la tragédie collective, on évince jusqu’au sens de ce combat mené par des dizaines de milliers d’individus arméniens pour leur survie et leur droit à l’existence.
Pour l’Europe l’expansion semble être plus un projet économique et civilisationnel, mais l’extension de puissance est bel et bien un projet pour d’autres États. L’absence de stratégie commune européenne se fait encore sentir dans le cas de « la paix » proposée à l’Arménie.
Les différences sont grandes entre les valeurs défendues par la Commission européenne et certains États membres, comme l’Italie qui envisage un rapprochement militaire avec l’Azerbaïdjan avec lequel elle a renforcé son partenariat énergétique. On arrive donc à une division qui conduit à des pratiques sectorialisées et à des champs sémantiques séparés, mais surtout à des diplomaties distinctes. On comprend mieux pourquoi les intérêts stratégiques communs semblent inexistants, les analyses des rapports de force, des antagonismes ou des lignes de fracture diffèrent d’un pays à l’autre et en appeler à l’Europe pour se pencher sur le droit à la vie de la population arménienne du Haut-Karabagh sera comme pour la crise migratoire : un jeu de va et vient entre un désir européen d’être une balise morale et celui d’être un acteur capable d’agir. En espérant qu’elle sorte de l’illusion de son rôle de médiatrice car elle est dans ce conflit comme dans d’autres partie prenante d’un jeu de pouvoir et de contre-pouvoir. Il ne s’agit plus simplement d’édicter des règles, mais de poser des actes politiques. L’Europe n’est pas à l’abri de l’histoire qui s’écrit ailleurs que dans le conflit russo-ukrainien.
TOUJOURS ET ENCORE LE NARRATIF ARMÉNIEN
Dans un moment ou l’Europe, elle-même, hésite dans le récit de la connaissance de soi, l’Arménie avait une carte à jouer, mais un manque d’imagination politique ou de connaissances ont conduit à un récit mal ficelé, hésitant entre la simple humanitarisation de la question du conflit et l’adhésion à « l’européanisation », projet ambigu de Bruxelles, pour oublier jusqu’aux figures importantes, mais dérangeantes de l’histoire arménienne.
Le peuple arménien finit par être un peuple pour lequel on pleure, mais pas avec lequel on lutte. Il est dommage de méconnaitre l’importance stratégique d’un narratif qui, non seulement, permet le lien entre passé, présent et avenir, qui donne aussi un sens au sacrifice de 5000 individus et qui procure une identité dans le temps autre que celle de la victime.
Savoir interpréter le monde est un outil pour le transformer disait Karl Marx. Il serait temps que les dirigeants arméniens issus du monde communiste se replongent dans leurs classiques. Mais pas seulement eux, que ce soient les groupes de réflexion arméniens, le leadership communautaire ou tout autre acteur communautaire, il est nécessaire de repenser les infrastructures matérielles des diverses stratégies à mettre en place après la catastrophe que représente cette guerre. On a déjà souligné sur ce blog et dans diverses conférences l’importance de plateformes médiatiques structurées. L’Arménie est un pays de traducteurs qui n’auront aucun mal à faire comprendre le langage de la politique qui se joue loin de leur pays, par exemple. Il faudrait pour cela faire de la place à celles et ceux capables d’en restituer toute la complexité, hors des livres blancs, noirs ou rouges.
Si l’Arménie pèche par une certaine méconnaissance d’un ensemble d’actions stratégiques à mener lorsque l’on perd une guerre, l’Europe continue d’errer entre des jugements moraux et son incapacité à proposer une stratégie collective face à différents acteurs : Turquie, Chine ou USA. Pourtant, elle continue de proposer à des pays comme l’Arménie des décisions techniques présentée comme incontestables et qui n’offrent guère d’alternatives. Alors que le « récit » européen semble vouloir s’organiser après le choc du conflit russo-ukrainien, les Arméniens et une partie des diasporas s’arcboutent sur des cadres sous forme « d’histoire » : génocide, premier état Chrétien, etc. Il s’agit plus d’une articulation d’évènements qui contrairement au récit ne répondent pas à de nouveaux besoins et à de nouvelles situations.
Les relations internationales sont, certes, dominées par des approches « objectivistes » qui mettent en avant les facteurs matériels, comme la puissance ou l’économie. La guerre en Ukraine a certes redistribué les cartes, mais ce conflit a aussi mis en avant que ce ne sont pas que les facteurs objectifs qui comptent dans la vie internationale et dans la perception que l’on a des acteurs notamment dans un conflit.
Il ne s’agit pas d’opposer des valeurs ou des idées aux forces et aux intérêts matériels, il s’agit plutôt de comprendre les interactions qui vont entrainer un changement de point de vue dans la notion d’intérêt et de sa définition sur l’échiquier international : quel est l’intérêt de soutenir l’Arménie ? Il s’agit de penser comment amener d’autres acteurs à penser qu’il est de leur intérêt d’agir ou d’intervenir en faveur d’un autre acteur international. Il s’agit là encore de différentes stratégies. Tout choix n’est pas conditionné que par des contraintes objectives, mais il faut pour cela avoir une conscience claire des interactions des rapports de force, des facteurs diasporiques et de leurs potentiels ainsi que des expériences historiques récentes ou plus anciennes. Les explications uniquement utilitaristes ne suffisent pas à la guerre des 44 jours comme la seule explication instrumentaliste qui réduit les idées à un simple reflet des infrastructures matérielles.
Il reste des injonctions dictées par la peur à se plier pour éviter l’abîme ou le néant. Il restera la responsabilité de ceux et celles qui sont devenus les arpenteurs de l’Azerbaïdjan, clamant haut et fort que le territoire de l’Arménie est bien de 29.800 km2. Sans rien savoir gérer de l’irruption de la nouveauté dans l’histoire de l’Arménie et n’en déplaise à beaucoup nous revoilà dans le temps des féodalités concurrentes.
Il reste 120.000 individus pris en otage. Bernanos écrivait : « Nous risquons pour les lâches qui ne risquent rien. » Mais la population arménienne manifeste dans les rues de Erevan, discute de la légitimité de ce gouvernement à prendre certaines décisions et se rappelle qu’en 2018 il s’agissait bien d’une désobéissance civile portée par toute une population. Il s’agissait d’une forme d’action politique qui porte l’idée politique de l’autonomie décisionnelle du sujet, mais aussi la prise de conscience de sa capacité. On ne pouvait que se réjouir que chacun « retrouve sa voix » pour dire son insatisfaction devant le cours intolérable de la conduite des affaires publiques. Depuis quelques jours, la population arménienne est de nouveau dans les rues. Il est vrai que l’on reste étonné devant l’ignorance du gouvernement du spectre d’attitudes qui entre dans le champ des stratégies d’arrangement après une défaite. Les servitudes qui semblent volontaires apparaissent comme les pires à une société touchée par la défaite.
Il est évident que l’absence de décision qui règne dans l’ordre international autour du blocus de l’Artsakh n’est pas le fait du gouvernement arménien. Mais l’acquisition de nouvelles compétences l’est. Il n’y a pas de discours moderne sur l’autorité qui ne mette en avant la compétence, car c’est non seulement l’un des fondements de l’autorité, mais aussi une nécessité pour naviguer au mieux dans la nouvelle configuration géostratégique qui se dessine dans le Caucase du Sud et au-delà.
Il devient nécessaire de ne pas simplement choisir une approche classique, culturaliste, constructiviste ou idéaliste du conflit des 44 jours et de la période post-conflit, mais de saisir que les forces matérielles ne vont pas que dans un seul sens déterminé par avance, la perception des forces matérielles par les autres acteurs internationaux peut-être un enjeu stratégique important.
La stratégie est une science écrivait Bernard Brodie dans un texte fondateur de 1949, mais elle ne s’applique pas uniquement à l’art militaire ou à l’économie, prenons l’exemple de la culture.
La culture semble être le dernier instrument de défense autorisé aux Arméniens, sachons l’utiliser au mieux. La culture est une sorte de missile idéologique pour la Turquie ou l’Azerbaïdjan, qu’en est -il de son utilisation par l’État arménien ou les diasporas arméniennes ?
Comment un pays et dans le cas arménien des diasporas peuvent-ils développer un pouvoir d’attraction culturelle s’ils ne sont pas une figure de menacer ou utiliser la culture pour convaincre du bon droit ?L’Arménie a perdu une guerre, mais l’issue de cette guerre repose aussi dans les mains des vaincus, à la condition de sa métamorphose civile, à condition que l’on retourne la dépossession et que l’on sorte de l’exemplarité qui nous rive à notre condition de vaincu. La culture est un outil important de ce processus.
La gouvernance culturelle est à revoir tout autant dans le pays que dans les diasporas.
Il est important, par exemple, d’avoir une idée plus précise des individus, des groupes ou des institutions qui peuvent jouer le rôle d’agents culturels, à savoir, ceux qui mobilisent ou coordonnent les ressources qui visent à l’accompagnement des artistes, à la création de nouveaux réseaux, ceux qui appuient les industries culturelles et créatives tout comme ceux qui œuvrent à la promotion des savoirs et échanges. S’interroger sur les nouveaux acteurs avec lesquels interagir devient une nécessité, les diasporas sont en ce sens de bons agents culturels potentiels, mais il faut des pôles d’expertise et de consultation et un véritable réseau qui saura créer ou consolider les relations avec les institutions internationales et les publics étrangers. La déclinaison de plusieurs modèles selon un ensemble de critères contemporains est nécessaire tout comme l’analyse précise du champ d’actions et d’interventions avec les différents acteurs publics et privés. L’Arménie se targue, par exemple, de la performance du numérique dans le pays et cela offre de vastes possibilités dans le champ culturel, notamment la production de contenus artistiques en temps réel et qui permet des partenariats novateurs. On ne peut ignorer une nouvelle géopolitique de la culture sous peine de voir la production arménienne être enfermée dans une « kermesse folklorique » pour le plaisir de publics friands de world culture.
Situer l’Arménie et les diasporas sur la nouvelle cartographie des échanges culturels est une urgence. Penser la culture ou faire de la culture, c’est aussi faire de la politique, au bon sens du terme, la prise en compte des enjeux de pouvoir et la construction d’une communauté de destin. Nous payons chèrement, aujourd’hui, l’absence d’une véritable stratégie de communication soutenue par des groupes diasporiques et transnationaux qui permettent de redéfinir l’intérêt des acteurs internationaux envers l’Arménie, mais aussi envers la population otage du Haut-Karabagh (Artsakh). S’intéresser aux cultures organisationnelles, par exemple, permet de mieux comprendre les variations nationales des politiques étrangères, un exemple parmi d’autres
Quelle culture veux-t-on montrer aux autres pour se faire connaître ou reconnaître ? « Il n’y a finalement rien de plus international que la construction d’une identité nationale » (Anne-Marie Thiesse). L’écriture de l’histoire, c’est aussi l’histoire des choix culturels montrés au monde. De nouveaux acteurs pour une nouvelle géopolitique de la culture qui sauront utiliser les moyens d’influence moderne dans un monde de plus en plus multipolaire ou les centres de pouvoir sont en mutation laissant davantage de place aux cultures émergentes.
La culture est un outil de pouvoir et de persuasion, c’est un enjeu que le gouvernement azerbaïdjanais a bien compris. Adoubé par l’Europe, mais confronté à de plus en plus de voix qui s’élèvent contre le blocus qui isole et affame plus de 120000 individus arméniens. Le gouvernement azerbaïdjanais utilise la culture et le mythe du multiculturalisme azerbaïdjanais comme des stéréotypes permettant de définir à l’étranger une identité collective et mettre en place un ensemble de narrations qui décrive la nation comme tolérante et ouverte. Le changement de l’image du pays passe par cette entreprise de nation branding. Il faut réussir à changer l’interprétation que se font les publics des diverses actions contre les droits fondamentaux des Arméniens, contre le droit de la guerre et contre les droits humains mené par le gouvernement Aliev. En ce sens les actions culturelles soutenues par l’Azerbaïdjan à l’étranger, comme l’insistance sur le multiculturalisme national, peuvent être comprises comme intégrant la diplomatie culturelle menée depuis des années par le pays.
CONCLUSION
Après ces rencontres tripartites, et notamment celle du 15 juillet à Bruxelles, peut-on encore croire à « la paix démocratique » prônée par l’Europe ? On peut légitimement s’interroger sur sa capacité à diffuser à l’extérieur de ses frontières les normes de liberté, d’État de droit et de démocratie, alors que le retour de la puissance a fait son grand retour dans le conflit russo-ukrainien.
On pourrait reprendre à la terminologie militaire, l’idée de contre-offensive, qui ne passe pas que par les armes. Réarticuler une stratégie qui tienne compte des techniques hybrides dans les guerres contemporaines, comme l’information et la communication qui sont des enjeux essentiels, tout comme les nouvelles technologies. Il ne s’agit pas seulement de fabriquer des drones, mais avoir l’aptitude de les utiliser au mieux, tout comme la capacité de construire un « récit » qui donne à voir une image de soi qui construit la perception des autres acteurs internationaux. Qu’est- ce que l’on déduit des capacités arméniennes ?
Si on ne trouve que des appels à plus de compassion, plus de charité, plus de solidarité, il y a un certain danger à attendre trop de la solidarité des autres États. Puisque chaque jour on constate que l’Europe considère des pays autoritaires comme l’Azerbaïdjan comme des partenaires dignes de confiance. Charles Michel ne parlant plus de « corridor » de Latchine mais de simple « route », cette différence sémantique a une grande importance en droit international humanitaire.
Quant à l’Union européenne, on peut se poser certaines questions concernant le blocus touchant les 120000 individus arméniens du Haut-Karabagh : sanctions ou politique du compromis?
Nous arrivons, ainsi, à une politique de l’UE pour les droits humains qui est criblée d’incohérences, voire d’inefficacité et qui mine des résultats notables. L’Union européenne est l’union économico-politique qui prend le plus de sanctions à l’étranger mais très peu, voire jamais dans son propre espace. Même en cas de violations de droits fondamentaux, le cas de la Pologne ou de la Hongrie en sont les parfaits exemples. Aussi on ne peut que constater le décalage entre l’idée même de sanctions et toute la politique européenne de compromis et d’accommodement mutuel. S’il y a une importante littérature scientifique sur l’environnement structurel dans lequel la politique commune de sanction a émergé, il y en a peu sur la légitimité et le caractère approprié de la politique des sanctions de l’UE en général.
Ces doubles standards, à l’œuvre dans les politiques occidentales, permettent à ces régimes d’interdire la pratique éthique et politique de la reconnaissance de l’autre et de favoriser le discours antagoniste ami/ennemi, de définir l’ennemi par sa nature et pas seulement par ses actions.
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