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Arménie, petit pays aux grands potentiels en quête de partenaires

Alain Navarra-Navassartian


L'Arménie est un petit pays, c’est une réalité souvent mise en avant, pour souligner la dangerosité de ses voisins, la Turquie ou l’Azerbaïdjan, mais c’est aussi un pays émergent. Concept inventé par la banque mondiale qui tend à souligner la vocation à un développement soutenu d’un pays. L’accent est donc mis sur le fort potentiel de l’économie arménienne qui a effectué, semble t-il, le choix de l’adhésion totale aux principes libéraux et à la vision internationale d’un libéralisme vertueux. Précisons, aussi, que les critères qui définissent les petits pays offrent un large éventail qui nous rappelle qu’il est important d’avoir une base de connaissances et de données aussi large que possible pour appréhender la réalité d’un petit pays.


Les travaux des chercheurs des années 1970 ont été déterminant pour prendre en compte les ressources matérielles des États et la volonté de les employer ainsi que la notion de puissance mais les années 1990 voient l’apparition de nouveaux acteurs non étatiques qui vont contrer et remettre en question la diplomatie traditionnelle. D’autres chercheurs ont mis en discussion une géopolitique offrant la vision d’un monde figée et d’un déterminisme qui se veut souvent scientifique, en remettant en cause les règles immuables d’un système sur l’équilibre des puissances. La guerre en Ukraine a pourtant bouleversé la donne, la résurgence de la puissance, le défi illibéral que représente clairement de nombreux Etats en Europe comme dans le monde, la récession due à la guerre, le décrochement de l’Europe de la puissance économique, son marché intérieur qui n’est plus le premier marché du monde et bien d’autres facteurs montrent que l’accumulation de ressources n’octroie pas nécessairement la maitrise du jeu international.


Dans ce contexte l’Arménie qui dans un rapprochement radical avec l’Occident se cherche de nouveaux partenaires, peut-elle tirer son épingle du jeu, dans un système international dont on souligne le changement ?


DU MONDE BI-POLAIRE AU MULTI-ALIGNEMENT


Le système international semble plus complexe et moins lisible que dans les années 1990. Un monde multipolaire ou de multi-alignements (Sheya Upadhyay.2022) ou bien encore, un monde de « partenaires » faisant l’apologie de la globalisation qui permettrait de combattre les particularismes dangereux au fonctionnement de l‘ordre libéral. Il y aurait donc place pour d’autres logiques que la puissance et un pays émergent comme l’Arménie aurait une carte à jouer, malgré le fait d’avoir perdu une guerre et la perte de 5000 hommes et un processus de paix chaotique. Cap à l’Ouest donc, on formalise l’adhésion à l’UE comme avec les États-Unis en signant une charte de partenariat. Ce qui est interessant est que cette charte si elle comprend, les volets traditionnels sur la sécurité, l’économie, ou l’énergie, comprend aussi des volets traitant de justice et de démocratie. Ceci faisant suite à d’autres mesures comme l’adhésion à la CPI en février 2024, alors que Vladimir Poutine est sous un mandat d’arrêt depuis 2023.Il ne s’agit pas ici de discuter du bien-fondé d’une telle charte ou d’autres décisions mais de voir quelles seraient les opportunités pour l’Arménie dans ce nouveau contexte de partenariat.


L’intégration de l’Arménie dans son environnement régional est la solution choisie par le gouvernement comme par ses partenaires, UE et États-Unis, c’est souvent sur la coopération régionale que s’appuyent les petits pays pour défendre leurs intérêts, il s’agit donc d’une politique, et de l’application de certaines techniques qui devront accompagner ces nouveaux choix. Il y a pourtant quelques problèmes dans ce « réenchantement » de la situation arménienne : l’Azerbaïdjan voit d’un très mauvais oeil cet ensemble de mesures comme le fait de renvoyer pour 2 ans la mission civile de l’UE aux frontières de l’Arménie mais d’autre part, une partie de la population ne croit pas au narratif qui accompagne les pourparlers de paix et ce virage vers l’Ouest. L’ensemble des acteurs de conflit et de sa résolution ne sont pas tout à fait d’accord. Il y a au-delà des interactions étatiques, des dynamiques sociales dont il faut tenir compte en Arménie comme ailleurs et qui remodèle le système international, la domination comme le « retour » de la puissance ou de la guerre ne peut plus faire l’économie du tissu social.


Si le multilatéralisme est aujourd’hui fortement contesté, il reste une technique diplomatique très utilisée : Une concertation entre, au moins 3 États dans un cadre défini en commun. l’Arménie adhère à cette diplomatie qui a un corollaire politique : le régulation des relations interétatiques par des organisations internationales ou le système onusien. Il reste que dans bien des pays, le multilatéralisme n’apparait plus comme la solution dans le règlement de certains conflits, tout comme la perte de confiance dans l’universalisme qu’il porte dans son projet.d’autant plus que la politique « America first » de Trump minait le concept de l’intérieur. Les idées simplistes de Donald Trump ont été suivies par de fortes « lacunes » dans la promotion des valeurs européennes. Ce qui est plus grave c’est que certaines décisions européenne apparaissent comme de réels manquement à ces valeurs.


Qui peut encore croire au droit international, si, tous les jours, nous constatons que l’impunité soutenue par une déroute stratégique des Européens laisse le champ libre aux crimes commis par des Etats félons ? Ou quand le jeu des intérêts (ou de la veulerie) passent avant toute éthique, puisque ce à quoi nous assistons est un recul de la loi, entre autres. C’est une violation des droits humains et une impuissance du droit qui aura des répercussions jusque dans nos démocraties. Sommes-nous devant la disparition d’une « communauté démocratique » ?


Comme le soulignait Hannah Arendt, c’est sur la dénonciation du mensonge (et notamment en politique) que repose le réveil de la conscience éthique, qui permet de dissocier les valeurs et les intérêts, c’est-à-dire de tenter de pouvoir penser à l’échelle universelle.


Faut-il donc toujours se retrouver confronté au relativisme ?


Les guerres au Soudan, Yemen, Syrie, Ukraine ou en Arménie ont questionné bien des pays asiatiques ou africains sur cet universalisme des valeurs qui prend parfois l’aspect du double standard.


Si l’analyse avec d’autres critères ne remet pas, tout à fait, en cause le système international focalisé sur la notion de puissance, il y a d’importants changements dont il faut tenir compte : les changements dans les conflits comme dans la conflictualité, l’interdépendance, comme la mondialisation qui mettent en discussion la souveraineté et au delà les frontières d’un État, c’est l’idée de territoire qui est aussi en question. Dans ces recompositions stratégiques il est donc important pour l’Arménie de ne pas se laisser enfermer dans une « catégorie » pour entrevoir un ensemble de tactiques et de partenaires. On peut noter combien cela a été important pour l’Azerbaïdjan de dire la réalité du conflit pour mieux imposer une vision subjective du pays et des Arméniens. L’Arménie se trouve effectivement coincée dans une certaine configuration du pouvoir dans sa zone géographique, mais elle possède aussi bien des instruments pour influencer son environnement.


Le réarmement est sans aucun doute une des clefs de sa sécurité comme un commandement valide et une doctrine militaire comme construction intellectuelle qui permettent de guider au mieux des opérations militaires ou le personnel militaire. Mais il y a bien d’autres stratégies étudiées par les chercheurs en relations internationales : la neutralité, le balancing, le band wagonning, etc. Mais il est tout aussi important de prêter attention au fait social ordinaire du pays, sans minimiser les mécontentement ou les incompréhensions de la population, la recherche d’un consensus fort au sein de la population comme au sein de l’élite politico-administrative du pays est un facteur important pour de nouvelles approches de la « puissance » et de ses modes d’action. Tout pays perdant une guerre ne conserve pas les mêmes moyens matériels et symboliques, c’est donc une politique de signification que l’État doit mettre en place pour permettre une construction de sens pour la collectivité. Encore une fois, il ne s’agit pas de discuter ici de la validité des moyens utilisés pour y parvenir, nous l’avons fait dans plusieurs textes, mais de souligner la nécessité de mettre en place des schémas d’interprétation de la réalité après la défaite et surtout la perte de 5000 hommes. On pourrait juste souligner que les moyens utilisés pour permettre aux Arméniens de percevoir ou d’identifier des actions permettant de donner du sens à une situation délicate et particulière ne sont pas toujours bien compris.


« Arménie, carrefour de la paix » a très certainement cette ambition, comme différents sommets ou congrès qui se sont tenus a Erevan depuis deux ans mais on constate que l’on ne tient pas compte des dynamiques historiques ou sociales constructives de l’identité d’une population, « the crossroads of peace » qui semble être un concept directement issu d’un think tank américain, n’est pas très adapté à des imaginaires politiques, sociaux ou culturels malmenés par la défaite. Si la notion de territoire se trouve mis en discussion par la mondialisation, l’identité territoriale arménienne va au-delà de la simple matérialité visible de la frontière, On ne peut pas passer sur le drame humain que représente cette guerre a coup de vernis libéral ou de rappeurs américains, d’autant plus que l’infaillibilité de l’État est une des grandes remises en question des sociétés occidentales desquelles l’Arménie veut se rapprocher.


La justice de l’histoire ne semble pas intervenir, encore une fois, pour le peuple arménien en Artsakh comme en 1915 et c’est encore une fois une forme de deuil, le deuil de milliers d’hommes mais aussi le deuil d’un « avant » et un « après » mais aussi d’un « en deçà » et d’un « au-delà » d’une frontière. C’est donc un nouvel imaginaire qui doit se mettre en place pour les Arméniens comme pour les diasporiques au moment ou nous nous rendons compte de l’éternelle rançon à payer pour notre existence.


C’est en ce sens que le mouvement du Tavush était interessant, c’est à la fois une opposition à un ordre social qui apparait comme une imposition de l’ordre international par des acteurs nationaux mais aussi un questionnement sur la fabrique de la Nation. La restructuration territoriale après les discussions sur les frontières a réveillé des imaginaires sociaux différents dans le gouvernement et dans une partie de la population. La construction d’une idée acceptable de la collectivité après ce cataclysme est surement une des entreprises nécessaires du gouvernement.


Nous ne répéterons jamais assez que 2018 est une désobéissance civile précédée par les évènements de 2015 qui démontrent que les Arméniens ont récuser la fatalité de la domination. Le narratif dans la communication gouvernementale doit prendre en compte un ensemble de facteurs plus complexes qu’il n’y parait et ce n’est pas la religion libérale et sa morale de l’efficacité qui peuvent suppléer à une réflexion locale.


Réécrire l’histoire arménienne pour laisser place à l’histoire de l’Arménie est aussi un acte particulièrement interessant puisqu’il souligne la volonté d’écrire l’histoire du développement de l’État plus que les épisodes de non-existence de l’État. On pourrait juste souligner que cette transformation en peuple d’État arrive dans un moment de contestation de ce concept et des formes d’autorité et cela depuis les années 1990 dans l’ensemble des pays occidentaux, le manque d’imagination ou de connaissances est souvent une plaie pour un gouvernement. Quand l’illusion politique prend le pas sur de réelles stratégies ou pire encore sur une volonté de balayer le fait qu’elle doit aussi intervenir sur les esprits, elle oublie qu‘il ne s’agit pas juste d’appliquer les préceptes importés mais d’agir aussi sur ce que Pierre Hassner définissait comme les « passions positives » d’une population. Il y a bien une réponse politique à donner après ce désastre mais aussi une réponse sociologique. Alors que pour beaucoup la démocratie reste un régime toujours inachevé et en mutation, le gouvernement arménien semble appliquer des recettes plus que porter une réflexion sur la construction de l’État arménien et les différentes possibilités qui s’offrent à lui. Il ne s’agit pas de discuter de la fin ou pas de l’État-Nation ( dont l’ancienneté n’est pas si évidente et dont l’émergence n’est pas aussi naturelle qu’on veut bien le dire, tout comme il faudrait revoir la mythologie des traités westphaliens) mais de souligner qu‘il y a d’autres trajectoires alternatives pour l’établissement de communautés politiques, l’imagination politique serait une force pour l’Arménie dans un moment ou le carcan étatique la bride. Pourquoi, par exemple seuls les États bénéficieraient de tous les droits à la défaveur d’autres entités collectives ? On me dira que pour un petit pays mettre en discussion le mythe westphalien n’a rien d’évident mais réfléchir et entrevoir d’autres possibilités d’organisation gouvernemental pour le pays après cette catastrophe serait aussi une force pour un petit pays, capable de sortir des cadres théoriques qu‘on lui impose.


PERDRE UNE GUERRE


Perdre une guerre est tout autant un traumatisme collectif qu’une situation militaire et cela engage des tensions entre la volonté de renouveau et la crainte de voir la dissolution de ce qui existe de l’identité nationale, un certain conservatisme qui voudrait éviter les transformations politiques trop violentes. La difficile sortie de guerre qui a entrainé l’exil de la population arménienne de l’Artsakh et la mort de cinq mille hommes a eu des incidences sur l’organisation politique arménienne.


Comment s’avouer vaincu ? C’est une question tout à la fois morale et politique. La défaite s’inscrit dans le champ du politique, le sens de la perte y est lié à la conception d’une histoire manquée, un cycle incessant de pogroms, massacres qui se conclut par le génocide de 1915. Il faudrait étudier les diverses attitudes face à cette réalité de la défaite, celle des groupes sociaux, des individus a Erevan et en province, par exemple, afin de travailler sur l’interprétation du sens de cette guerre. Il faudrait juste souligner que durant le sommet de la diaspora aucun groupe diasporique n’ a émis le souhait de se recueillir a Yerablur (cimetière militaire). La mémoire comme l’oubli sont des outils politiques, les dernières déclarations de N.Pachinian à Zurich sur ses interrogations à propos du génocide sont éclairantes. Le gouvernement parle beaucoup d’État et de favoriser une « culture de l’État » mais si l’on ne veut pas le rejet de l’autorité de l’État, il ne suffit pas de tenter de convaincre que nous avons affaire à une « défaite créatrice » annonçant une Arménie nouvelle libérée d’une mémoire encombrante.Quant aux propos confus de Zurich, ils laissent supposer une réelle politique publique de l’oubli, une politique de l’anti-mémoire. Il ne s’agit pas de défendre ou pas une politique salutaire de l’oubli car ceux qui en payent le prix, pour l’instant sont les seuls Arméniens, soutenu de façon incongrue et absurde par un gouvernement qui pense que les représentations de la défaite par une population s’effacent d’autant plus vite que les promesses d’un développement économique abondent. Il y a bien une volonté de déposséder les individus arméniens de leur pouvoir de se raconter eux-mêmes, encouragé par une politique d’évitement d’une partie de la diaspora qui ne saisit pas encore le danger de ces pratiques. Ce « commandement d’oubli » auquel on assiste semble être décrété pour faciliter les pourparlers avec l’Azerbaïdjan, et au delà, la Turquie.


« Arménie carrefour de la paix » : un concept qui semble directement issu d’un think tank américain met en évidence la volonté du gouvernement à recréer une communion collective mise en danger par le cataclysme de 2020. Dans une défaite c’est aussi l’appartenance et la participation qui sont questionnées, il ne s’agit pas de sentiment national mais de souligner combien l’appropriation d’une réalité douloureuse est importante, de lui donner un sens afin que la solidarité des groupes arméniens ne délitent pas parachevant l’oeuvre de l’Azerbaïdjan. Il ne s’agit pas de tomber dans des logiques du ressentiment, sans autre horizon, mais la quête de la concorde et la réussite des transactions par les moyens les plus absurdes ne sont pas une garantie de succès. La rente politique d’un gouvernement fondée sur une transition démocratique, qui complaît à ses partenaires du moment, mais aussi sur la volonté de déposséder les acteurs sociaux de la possibilité de se raconter eux-mêmes, l’évacuation du caractère punissable d’un acte tel que le génocide de 1915, l’interdiction d’évoquer un événement, voire l’effacement de ses traces matérielles dans l’intention d’écrire une histoire univoque ne garantit en rien cette rente sur le long terme.


Le processus de pacification ne s’avère pas être aussi simple que bien des acteurs de ce conflit l’auraient souhaité car la violence ne s’est pas arrêté à la fin des hostilités mais a pris de multiples aspects : prisonniers de guerre et politiques, parc d’attraction, discours officiels et performatifs du président Aliyev et de son gouvernement, destruction systématique de l’héritage culturel arménien, etc. Le procès de Bakou en janvier 2025 est une parodie en infraction aux normes juridiques internationales et devient une autre plaie vive dans une mémoire sociale que l’on somme d’oublier pour aseptiser cette défaite. Ne pas trop dire, ne pas trop voir. Être résilient, voila le maître mot, proposé aux Arméniens ,d’ici et là-bas, une idéologie de l’adaptation et du consentement à la catastrophe.


Il ne s’agit pas de minimiser le deuil et « l’économie morale de la reconnaissance « à mettre en place après la guerre mais c’est bien la boîte conceptuelle utilisée qui est à discuter, comment donner un sens à l’impensé ? Mémoire d’une guerre devenu indicible pour des raisons politiques ou de éopolitiques. Mémoire parcellaire énième manifestation d’une pathologie infligée ou choisie affectant le corps social et politique arménien.


La défaite est, certes, en partie la cause des gouvernements prédateurs précédents mais que révèle-t-elle d’autre ? L’incompétence d’un état-major, la vétusté évidente du matériel ou est-ce l’ensemble de la société qu’il faudrait interroger ?


Cette défaite ne saurait en aucun cas être l’illustration de l’essence du peuple arménien: victime expiatoire idéale devant l’éternité, il s’agit de comprendre comment la guerre des années 1990 et celle de 2020 constituent une matrice politique pour l’Arménie mais aussi pour l’Azerbaïdjan, mettant en place un faisceau de pratiques sociales, culturelles et politiques qui aboutissent à la fin de la guerre à un système qui vise à l’élimination de toute présence arménienne dans la région. Ce n’est donc pas en bousculant ou en détruisant certains récits collectifs aux origines du sentiment d’attachement qui unit un collectif d’individus que l’on peut restaurer le sentiment national. Mais il semble que les expressions du désarroi populaire en Arménie n’ont pas mobilisé plusieurs échelles d’analyse, puisqu’il s’agit à la fois d’un fait social collectif mais aussi de la conscience de chaque individu arménien et son rapport aux institutions et à l’État en rapport avec cette défaite. Il s’agit bien de recréer une cohésion de la société atteinte par l’expérience de la guerre et les pertes humaines. Mais l’amnésie proposée ou les réajustements de l’histoire de notre peuple semble être le remède utile pour apaiser les opinions publiques, entre auto-censure et censure officielle les réalités de cette guerre sont restées dans le secret. La guerre est bien l’affaire de l’État mais elle révèle aussi l’État qui mène cette guerre et certainement, plus encore, dans le processus de paix qui suit le conflit qui renvoie tout autant au malaise dans la construction de ce processus par le système international.


Les combattants de la guerre en Artsakh sont devenus des facteurs de perturbation comme les « fanatiques » de la mémoire du génocide dans un processus de paix libérale voué à l’universel qui troque la sémantique guerrière pour « sécurité*, « intervention » et qui devra affronter d’autres violences, celles des virilistes autoritaires, Poutine, Aliyev, Erdogan et leurs corollaires occidentaux.


SORTIR DE LA GUERRE


Le processus de sortie de guerre est un processus long, analysé par les historiens et l’anthropologie historique, cela a permis de s’intéresser au vécu des populations civiles et à la diversité d’acteurs dans un conflit, à l’opinion publique et à l’imaginaire autour des conflits(cf.bibliographie), on peut ainsi dépasser le simple cadre national pour souligner les interdépendances et les nouvelles réalités sociales, territoriales ou juridiques. La définition des frontières, le couloir du Zangezour, la restitution de villages dans le nord du pays ont laissé des traces dans le paysage et le territoire du pays mais aussi dans les consciences et les mémoires et ce pour longtemps. Mais l’idée de la paix comme un retour à une normalité d’avant le conflit est une supposition contestable. Les traces sont là dans les corps des militaires, dans les familles, dans le corps social. Les combattants de la guerre de 2020 ont dû faire face aux technologies modernes de la guerre à distance : les drones armés, le bayraktar TB2 turc ou les drones kamikazes orbiter et harop israélien. On se rappelle encore un clip qui dévoilait, le 1er octobre 2020, l’utilisation de munitions rôdeuses par l’Azerbaïdjan. La guerre des drones a bien eu lieu, doublé par une guerre des médias et sur les réseaux laissant une vision désenchantée de ce conflit loin de l’héroïsme de celle des années 1990. La déchirure dans la trame du quotidien que représente toute guerre, la force technologique de l’Azerbaïdjan et la perte, en cours de conflit, des objectifs déclarés de la guerre du côté arménien et la déclaration des buts réels du conflit (éradication des Arméniens de la région) du côté azerbaïdjanais, ont bouleversé le monde arménien qui se demande s'il y aura toujours une rançon à payer pour son existence.


Reste à comprendre la dimension sociale de cette guerre qui a mobilisé la totalité de la société arménienne et ses institutions et la mise en place des différents dispositifs organisationnels, communicationnels ou techniques pour gérer le conflit.


REBATTRE LES CARTES


Le poids politique d’un pays comme l’Arménie est certes limité à l’échelle mondiale mais il existe plusieurs possibilités pour le pays d’être « un entrepreneur de normes ». L’’opinion que la puissance d’un État se fonde uniquement sur le hard power, la puissance militaire ou une diplomatie traditionnelle est de plus en plus remise en question. La puissance et l’hégémonie sont-ils les seuls concepts pour envisager une place au sein du système international ? Même si la puissance reste une notion structurante des relations internationales, le concept n’est pas figé et évolue selon une situation ou des relations spécifiques. Il faut l’envisager hors d’un cadre fixiste et comme une notion évolutive.


Si l’on considère le vainqueur du conflit, l’Azerbaïdjan, la notion de puissance semble prendre tout son sens dans sa capacité à contraindre mais la capacité d’influence dans d’autres domaines s’amoindrit, la COP 29 est un bon exemple : nombreux sont ceux qui se sont demandé pourquoi organiser un tel évènement dans un pays producteur d’énergie fossile et qui bafouent un grand nombre de droits humains. Le résultat escompté en terme d’image du pays n’est donc pas atteint d’autant plus que les réactions gouvernementales n’ont fait qu’accroitre les critiques : arrestation de militants environnementaux, harcèlement de parlementaires américains, proximité avec des pays pétroliers , liberté d’expression et de réunion non respectée durant le sommet. « mettre fin à la persécution des voix critiques » demandait le commissaire européen, Michael O Flaherty en marge de la COP29.


L’exemple de l’Azerbaïdjan est intéressant, en raison du conflit, mais aussi parce que les ONG, les acteurs sociaux, les médias voire les acteurs religieux sont de plus en plus impliqués dans la définition des règles et des normes, « la mauvaise réputation » semble être plus importante qu’une réelle éthique des relations internationales. Mais dans ce chassé-croisé d’allégeances dans la région sud-caucasienne, les tenants d’une mondialisation à caractère vertueux semble préférer , pour l’instant, l’Arménie. Il y a une lecture nationale de la contestation muselée en Azerbaïdjan mais elle dépasse aussi ce cadre, Accepter que la force dicte la loi c’est remettre en cause, pour les pays occidentaux mais aussi les organisations internationales, les fondements du libéralisme et l’universalité présumé de leurs objectifs. On oscille entre intérêts et sentiments nobles. Mais dans un monde « multicentré » un État peut avoir d’autres interlocuteurs internationaux que les États : les Ont, les multinationales, les entrepreneurs identitaires comme les diasporas, etc. L’irruption des sociétés dans le jeu international est un atout possible pour l’Arménie, si elle sait comprendre les relations à établir avec ses diasporas, par exemple, qui dans cette nouvelle cartographie des acteurs internationaux peuvent jouer un rôle important. Mais il faut pour cela développer un cadre institutionnel valide entre la diaspora arménienne et l’Etat pour en faire un instrument de puissance et favoriser une valorisation réciproque qui serait un outil de smart power. Mais nous sommes encore loin d’un plan stratégique efficient qui associerait les diasporas arméniennes à un projet de développement durable du pays. C’est autant un processus qu’un aboutissement. Mais la défiance, la crainte de l’ingérence de la diaspora dans le paysage politique arménien et bien d’autres facteurs limitent une véritable politique contractuelle État/ diaspora qui ferait de cette dernière un partenaire à part entière, travaillant de concert pour la politique d’affirmation de l’Arménie dans un environnement difficile. (Cf.dossier Hyestart /diaspora et développement). Il faut souligner que ce sont bien les institutions politiques qui expliquent le plus souvent l’échec ou la réussite d’un pays et pas uniquement le déterminisme géographique ou culturelle, une politique inclusive est une source de réussite, une incitation à investir ou à innover.


LE PORTEFEUILLE DE RESSOURCES


L’exemple choisi ici est celui du numérique comme levier de développement et domaine de première importance. Avant la guerre l’Arménie était l’un des principaux centres de développement de logiciels au monde et constituait un pôle régional de conception de circuits intégrés et de systèmes de réseaux et de communication. Beaucoup soulignait que la croissance du secteur technologique arménien trouvait son origine dans le passé soviétique du pays, allusion à des personnes comme Hovannes Adamian (inventeur de la télévision en couleur) ou Boris Babayan (pionnier des superordinateurs de l’Union soviétique). Toutefois, la politique a elle aussi joué un grand rôle sur la scène prometteuse de la technologie en Arménie. Au cours des vingt dernières années, à la demande du Fonds monétaire international, l’Arménie a mis en oeuvre des réformes successives pour encourager l’investissement étranger.En 2019, le nouveau gouvernement de Nikol Pachinian a pris la décision de remplacer les niveaux d’imposition progressive par un impôt forfaitaire unique de 23 %, De plus, une autre loi qui a été adoptée prévoit de ne pas taxer les bénéfices et de fixer à seulement 10 % l’impôt sur le revenu pour les nouvelles entreprises de moins de 30 employés, cela a eu pour effet d’attirer des startups du monde entier. Mais la politique gouvernementale semble privilégier ce qui complait le plus au monde du commerce sans penser que l’innovation technologique arménienne devrait s’appliquer à tous les secteurs économiques pour devenir un réel outil de développement et de progrès social. On n’en reste à des individualités brillantes diffusant leurs savoirs hors de circuits organisés et soutenus par une politique stratégique de l’État, le développement de l’esprit d’entreprise est le leitmotiv de ce gouvernement et le consensus reposant sur le principe selon lequel l’Arménie devrait avant tout soutenir le développement économique dans son ensemble, sans tenir compte de la façon dont la richesse et le développement sont répartis dans la population reste un facteur important d’une vision largement répandue : l’autonomie par le marché.


On ne veut, certes plus, de diaspora philanthropique mais des investisseurs et le budget du pays sera très certainement dédié pour une grande part au réarmement, alors comment sortir de la politique du don et de l’économie du don qui fonctionne mieux pour les diasporas américaines que pour les diasporas européennes? Est ce que la création d’un marché obligataire souverain serait une solution ? Un diaspora bond ? dans le cas des « diaspora bonds », le mécanisme est nettement moins émotionnel que les transferts de fonds des diasporas pour aider leurs proches et fait intervenir davantage de rationalités: niveau d’éducation financière de la diaspora, seuil de performance financière critique, processus de souscription, garanties… jusqu’au capital confiance dans l’Etat, l’institution émettrice et ses intermédiaires. Mais les déclarations récentes de N.Pachinian à Zurich. Relance les discussions sur la confiance à accorder à un gouvernement qui s’occupe de définir les « nouvelles approches » du génocide, dictant la politique de l’oubli ou de la mémoire, le pire est que ses propos semblent mettre en discussion le caractère punissable de l’acte génocidaire et son appréhension par l’historiographie du génocide. Que propose-t-on ?’écrire une histoire univoque et définitive ? Ces politiques de l’oubli sont censées complaire aux nouveaux partenaires de l’Arménie et remplissent des objectifs dans le présent mais sont donc soumises aux évolutions politiques. Nous ne développons pas ici, cet aspect particulier de la politique gouvernementale arménienne mais nous soulignons que les réactions furent immédiates à ce que certains considèrent déjà comme une censure. Revenons aux moyens de pérenniser les investissements diasporiques. Aux questions sur les instruments du gouvernement pour les favoriser les investissements, les réponses restent vagues et les informations difficiles à trouver, l’absence d’un portail d’’informations sur l’épargne, les investissements (trop de canaux divers) les assurances protégeant les investissements, etc fait défaut. l’Absence d’un cadre administratif clairement défini constitue un obstacle majeur. D’autre part la sécurité du pays ne favorise pas les investissements massifs, le choix de l’Occident et les accords signés avec les États-Unis ne sont pas un garant suffisant, le traité n’engage en rien les USA en cas d’agression de l’Azerbaïdjan, par exemple.


Le savoir faire arménien dans bien des domaines n’est plus à démontrer mais la publicisation de ces compétences ne se fait qu’au travers d’individus connus dans tel ou tel domaine. La politique de l’État en la matière doit être affinée, on passe d’une organisation fondée sur les fonctions à un modèle de fonctionnement basé sur les compétences. La globalisation met en exergue le fait que la guerre des talents fait place à une guerre des compétences. Les compétences des collaborateurs aux structures étatiques, par exemple, peuvent être considérées comme un enjeu de souveraineté nationale, il s’agit donc bien de les mettre au coeur des politiques publiques arméniennes. Ceci entraine un constat, il ne s’agit pas uniquement de trouver des investisseurs pour des projets aussi interessants soient-ils mais de penser également à la gestion des ressources et des compétences des Arméniens et des Arméniennes : les formations et le système éducatif sont en première ligne de ces réflexions, puisque c’est le creuset pour faire des compétences et suivre leur évolution. Pour cela, il convient d’abord d’identifier les compétences stratégiques, présentes oupassées, leur volume actuel et prévisionnel. Répétons-le, défendre l’esprit d’entreprise est bien mais faut-il lui donner des cadres efficients.


Les bouleversements des métiers comme des technologies accélèrent l’obsolescence des compétences techniques. Le nouvel attrait pour les « soft skills » vient notamment de là et une étude de Harvard en 2022 démontrait que la compétence principale, à l’avenir, serait » d’apprendre à apprendre ». En cela, l’Arménie et sa jeunesse son un atout certain, la flexibilité, l’adaptabilité aux nouvelles technologies comme un niveau scolaire élevé permet d’envisager une stratégie de la connaissance qui correspond d’ailleurs à une tradition culturelle arménienne, y compris au temps de l‘Union soviétique. Pour cela il faut une réelle coordinations des politiques publics et des initiatives privées. Le capital humain est un des actifs essentiels de l’État arménien.


On constate, à la fois, la demande des diasporas d’une économie plus institutionnelle du changement (politique administrative ou juridictionnelle) mais une demande similaire de la part du gouvernement :meilleure gestion, ciblage et efficacité de l’aide apportée par les diasporas. Il y a donc l’opportunité de dialogues et d’échanges positifs pour divers investissements dans la politique de développement de l’Arménie. C’est encore l’approche sectorielle qui semble connaitre un réel succès, notamment le domaine de la santé qui permet un financement commun entre l’Etat et les bailleurs privés. Il faut souhaiter que les financements de projets touchant à la santé publique soient de plus en plus intégrés dans le système national, ce qui permettrait au secteur de la santé publique de pouvoir planifier certains projets sur le moyen ou long terme.Si le volet politico-institutionnel est important il reste à souhaiter que les diasporas et leurs divers organes de financement pensent à leurs modes d’intervention.


La réforme du processus budgétaire et de la fiscalité n’a pas tout résolu en Arménie mais l’adoption d’un budget entraine une volonté plus grande des bailleurs de fonds à investir, il reste la trop grande fragmentation entre les acteurs et le système institutionnel. Une coordination interministerielle plus efficace et notamment concernant les aides reçues de la diaspora (stratégie de la gestion de l’aide) est importante afin de faire aboutir des choix stratégiques gouvernementaux. On revient toujours à la mise en place d’un rapport différent entre État et diasporas, en précisant bien, que ne pas tenir compte de l’importance des diasporas en tant que facteur de puissance serait une erreur politique grave. Il s’agit moins d’avoir un aréopage d’experts que de renforcer les capacités de l’État, il semble que ce soit la volonté de ce gouvernement, exprimée parfois de façon maladroite, ceci pourrait apparaitre comme un détail, mais la communication est un outil essentiel au service de la promotion des actions publiques, La première mission de la communication gouvernementale est de faire connaître aux citoyens les politiques publiques conduites par le pouvoir politique dans un contexte où le message de l’État doit s’exprimer au milieu d’une multitude d’autres. Le meilleur exemple d’un dérapage dans cette communication sont les propos de N.Pachinian à Zurich, l’approche gouvernementale sur le génocide est « balancée » de manière abrupte et traite de questions psychologiques, sociales et historiques sans définir termes, notions et concepts ce qui a immédiatement permis d’assimiler ses propos à un discours propagandiste.


DIPLOMATIE CULTURELLE, SOFT POWER OU NATION BRANDING


L’action culturelle est un outil de la politique étrangère d’un pays, depuis Joseph Nye, l’action sur les « coeurs et les esprits » du soft power en fait un outil de séduction, de rayonnement ou d’influence. La diplomatie culturelle, invention française de la fin du 19eme siècle est donc depuis longtemps formalisée.


L’hégémonie symbolique compte, à présent, tout autant que les déterminants classiques et matériels de la puissance. Les guerres en Ukraine ou en Arménie soulignent plus le changement de nature des conflits qu’un « retour de la puissance » (Badie.2022) Comme le souligne Bertrand Badie, tout ne dépends pas uniquement des rapports de puissance. La diplomatie culturelle axée sur l’utilisation de la culture par les États dans leur politique étrangère se voit doublé du soft power, outil d’influence qui peut associer les diasporas, par exemple, et du nation branding, concept de Wally Olins, que l’on pourrait résumer par une vision marketing de la diplomatie. Outil de visibilité et de prestige l’enjeu culturel s’est imposé comme un vecteur d’influence sur la scène internationale. Les stratégies culturelles sont de plus en plus ciblées pour soutenir leur impact politique. La culture doit donc séduire, mais aussi influencer des idées et des savoirs dans la perspective de rayonnement mais aussi d’attractivité. Il y a bien longtemps que la culture s’immisce dans la formulation de la politique étrangère (Gerbault 2008, Bellanger 1994).


La richesse du paysage culturel, la faculté de renouveler les stéréotypes et les représentations que l’étranger a d’une identité collective qui se réfère à un ensemble de narrations qui décrive la Nation sont des enjeux cruciaux. Tout cela s’inscrivant dans une stratégie d’attractivité tant pour les individus, les entreprises ou les opinions publiques (Tessler 2010). Aussi doit-on poser l’actualisation des déclinaisons des divers modèles culturels arméniens selon un ensemble de critères contemporains. L’identité culturelle ne peut plus se confondre avec des cristallisations immuables, tout comme l’identité, il ne s’agit pas « d’une totalité continue » stable et simplement transmissible. C’est un phénomène dynamique qui dépend grandement de la créativité des différents acteurs et de leur rencontre avec un ancrage historique. Un ensemble de processus complexes et singuliers par lesquels l’acteur culturel arménien donne un sens à son « être Arménien ». Le renouvellement ne doit pas effrayer ou se vivre en termes de perte ou d’oubli.


Si la culture est une sorte de missile idéologique pour la Turquie ou l’Azerbaïdjan, qu’en est -il de son utilisation par l’Etat arménien ou les diasporas arméniennes ? Sans minimiser le rôle des acteurs individuels (ONG, fondations, philanthropes, etc) dans une géopolitique de la culture mondialisée, le rôle des États restent important. considérer de nouveaux acteurs, partenaires ou du moins, certains rôles est essentiel à la lumière de la nouvelle donne qui frappe le monde arménien. Il ne s’agit pas d’ériger l’altérité en étrangeté. Défendre la musique de Komitas, faire connaître les manuscrits arméniens est une évidence, tout comme, l’apport de ces objets culturels à la culture mondiale, mais dans la situation particulière que traverse le monde arménien, il s’agit de saisir comment l’identité culturelle doit se penser à partir des ressources mobilisables dans ce temps précis et dans la contemporanéité pour sa construction et des stratégies à utiliser pour sa diffusion. Sortir des représentations figées ou des habitus culturels réifiés, s’adapter aux exigences situationnelles tout comme aux contraintes socio-politiques actuelles est un enjeu de taille pour ne pas y perdre son âme tout en utilisant et comprenant le rôle de la culture dans le jeu géopolitique. La Turquie comme l’Azerbaïdjan en ont saisi l’importance dans un moment ou la géo-culture a pris un essor inédit. L’information et la culture se présentent comme les nouvelles sources d’influence et de légitimité, la capacité à produire des objets culturels, mais aussi la capacité à produire de l’information autour d’eux devient une nouvelle norme d’évaluation du pouvoir. Les institutions arméniennes ou les associations diasporiques sont loin d’en avoir compris l’enjeu (absence de diversification des canaux d’information et de communication, contenus à destination des opinions publiques, etc.). La diplomatie du public est encore méconnue et on s’étonne que l’identité vécue soit si différente de l’identité assignée par les autres.


La gouvernance culturelle est à revoir tout autant dans le pays que dans les diasporas.


Il est important, par exemple, d’avoir une idée plus précise des individus, des groupes ou des institutions qui peuvent jouer le rôle d’agents culturels, à savoir, ceux qui mobilisent ou coordonnent les ressources qui visent à l’accompagnement des artistes, à la création de nouveaux réseaux, ceux qui appuient les industries culturelles et créatives tout comme ceux qui oeuvrent à la promotion des savoirs et échanges. S’interroger sur les nouveaux acteurs avec lesquels interagir devient une nécessité, les diasporas sont en ce sens de bons agents culturels potentiels, mais il faut des pôles d’expertise et de consultation et un véritable réseau qui saura créer ou consolider les relations avec les institutions internationales et les publics étrangers. La déclinaison de plusieurs modèles selon un ensemble de critères contemporains est nécessaire tout comme l’analyse précise du champ d’actions et d’interventions avec les différents acteurs publics et privés. L’Arménie se targue, par exemple, de la performance du numérique dans le pays et cela offre de vastes possibilités dans le champ culturel, notamment, la production de contenus artistiques en temps réel et qui permet des partenariats novateurs. On ne peut ignorer une nouvelle géopolitique de la culture sous peine de voir la production arménienne être enfermée dans une « kermesse folklorique » pour le plaisir de publics friands de world culture. Situer l’Arménie et les diasporas sur la nouvelle cartographie des échanges culturels est une urgence. Penser la culture ou faire de la culture c’est aussi faire de la politique, au bon sens du terme, la prise en compte des enjeux de pouvoir et la construction d’une communauté de destin.


Quelle culture veux-t-on montrer aux autres pour se faire connaître ou reconnaître ? « Il n’y a finalement rien de plus international que la construction d’une identité nationale » (Anne-Marie Thiesse). L’écriture de l’histoire, c’est aussi l’histoire des choix culturels montrés au monde. De nouveaux acteurs pour une nouvelle géopolitique de la culture qui sauront utiliser les moyens d’influence moderne dans un monde de plus en plus multipolaire ou les centres de pouvoir sont en mutation laissant davantage de place aux cultures émergentes.


La culture est un outil de pouvoir et et de persuasion, c’est un enjeu que le gouvernement azerbaïdjanais a bien compris. Voyage de presse, colloques ou forums universitaires, évènement sportif ou mécénat artistique, le gouvernement du pays a parfaitement utilisé l’ensemble du spectre culturel pour sa communication ou sa propagande.La pierre d’achoppement de ce système bien huilé, reste une des caractéristiques du système libéral : la réputation ou l’image renvoyé aux autres. La COP29 est un bon exemple : absence de certains chefs d’État, le directeur de l’organisation s’entretenant d’investissement avec la SOCCAR, l’arrestation du défenseur des droits humains, Amar mammadli et de sa femme, la campagne anti-française et l’ingérence dans les affaires de Nouvelle-Caledonie, tout cela a mis quelques grains de sable dans la machine communicationelle azerbaïdjanaise. La dictature des énergies fossiles a malgré tout ses limites et le grand nombre d’acteurs internationaux qui sont autonomes par rapport au monde des États, permettent l’inscription des sociétés dans le jeu national. Dans le cadre des stratégies pour les relations culturelles internationales, l’Arménie a des atouts importants : le matériau culturel, la formation des acteurs et un réseau diasporique important. L’UE qui semble devenir un partenaire important de l’Arménie a ,comme d’autres entités, des axes de travail qui peuvent s’avérer utile pour le pays : soutien à la culture en tant que moteur du développement social et économique, le dialogue interculturel ou encore le renforcement en matière de patrimoine culturel. La richesse de la culture arménienne est « un amplificateur de dynamiques » par ses effets endogènes mais aussi par la perception que les non-arméniens ont du pays. Il ne s’agit pas d’être naïf en pensant que la seule rencontre culturelle avec l’autre permet une meilleure compréhension de l’autre, mais l’Arménie disposent d’oeuvres et d’artistes ou d’intellectuels qui peuvent la représenter sur la scène internationale et servir un réel soft power.


CONCLUSION


Il est évident de souligner que dans un moment de grande fragilité comme celui que traverse le pays et sa population, l’efficacité de l’État est essentielle, il s’agissait dans cet article de mettre en avant les possibilités ou les opportunités qui s’offrent à un petit pays, sortant d’un conflit. Il apparait que le processus de paix doit, certainement, s’accompagner du processus de renforcement de l’État envisagé dans une évolution de la relation entre État et société et pour cela une communication intelligente qui sait redonner le sens du collectif est importante.


La diplomatie culturelle, la diplomatie des publics ou la mise en place de structures économiques pertinentes relève de la capacité de l’état à fournir des services clés. La guerre a mis à mal la cohésion du pays, comprendre les attentes et saisir les perceptions sociales est, aussi, un enjeu important c’est le moyen de permettre à une société d’articuler les demandes qui lui sont faites dans une période compliquée pour le pays comme pour la société. Il est évident que les défis de l’État arménien sont multiples, endogènes et exogènes. l’Arménie a longtemps appartenu à ce qui a été défini comme des « ordres politiques hybrides », un État qui semble fonctionner selon des règles de démocratie constitutionnelle mais ou coexistent des formes rivales socio-politique comme l’oligarchie. Elle se cherche de nouveaux partenaires mais les attentes sont à la fois traditionnelles et modernes. La guerre a bouleversé le peuple arménien et les diasporas, elle se situe dans un nouvel environnement mondial qui a des implications importantes pour l’Arménie, qui questionne aussi la formation de l’État arménien comme les clivages structurels dans le pays :formation des différences au sein de la population arménienne ( classe, culture, genre, relation centre/périphérie, etc,) La réflexion doit aussi se porter sur les structures incitatives qui vont permettre aux différents acteurs d’agir pour le renforcement de l’État et le développement durable du pays. La guerre et ses conséquences ont remis en question la légitimité par les procédures (processus de paix notamment) mais aussi la légitimité obtenue par les convictions partagées et enfin, l’identité collective comme les structures de socialisation ( nationalisme, religion, genre, etc.). Renforcer l’État signifie également renforcer les systèmes de confiance entre l’État et la société pour obtenir une plus large communauté de vues. Rappelons que la cohésion sociale est un vecteur important quant on parle de puissance. Il est évidemment plus simple d’entrevoir des solutions dans un article, mais l’Arménie a un atout majeur son capital humain mais aussi sa culture, un réseau diasporique étendu, un capital de sympathie et d’empathie important, entre autres, qui lui permettent d’envisager des solutions pour son avenir et définir des stratégies pour son futur.

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