Les élections législatives qui se tiendront le 2 avril 2017 en Arménie semblent avoir généré une mobilisation de la société civile diasporique arménienne. Le co-fondateur de Hyestart, Alexis Krikorian, sera présent au nom de l'association. Les observateurs électoraux internationaux peuvent jouer un rôle important dans la promotion des principes de données électorales ouvertes comme moyen de faire progresser la confiance du public dans de véritables élections démocratiques.
Cela sera un analyseur pertinent de l'utilité et de la vitalité de l'engagement citoyen et associatif. La présence de citoyens internationaux d'origine arménienne et d'associations dans ce processus est importante car ces corps intermédiaires et ces individus soulignent l'importance des interactions entre le local et le global. La citoyenneté active est au cœur du propos de Hyestart. Il ne s'agit pas seulement d'une pulsion à plus de justice, plus d'égalité ou de citoyenneté, mais, en s'appuyant sur les limites contemporaines de la citoyenneté et sur les failles des nouveaux systèmes, de pouvoir dégager de nouvelles figures de l'engagement. Cette recherche sur la citoyenneté active prend place dans une conjoncture de crise des mouvements sociaux en Arménie.
Nation, peuple, diaspora, transnational: autant de concepts qui nourrissent l'imaginaire politique de la modernité arménienne, exclusifs pour certains, supposément émancipateurs pour d'autres, mais tous porteurs d'une forme d'identité symbolique aux effets variés et parfois contestables. Il est donc important de pouvoir cerner et concevoir les réalités émergentes de la société arménienne qui se meut et qui nous oblige à regarder la dynamique naturelle du fait social dans ce pays.
Même si beaucoup mettent en cause l'efficacité du système d'observateurs internationaux, être observateur, être présent était essentiel pour Hyestart. En effet, tout ce qui favorise la démocratisation du pays est nécessaire, non seulement au projet politique et social, mais également pour éviter la fragmentation de la société arménienne. Jusque-là, on a connu une conception réductrice de la démocratie, une sorte de décor à un pouvoir oligarchique et la modernité n'apparaissait que comme un leurre.
Cette participation d'Arméniens d'horizon géographiques divers crée une forme embryonnaire de solidarité autre que caritative et culturelle et cela a une grande importance , car à trop penser l'individu arménien, même l'individu arménien en diaspora, on en a oublié la construction du groupe. A ne voir l'arménité qu'au travers de réseaux et non en groupes d'appartenance, cela a eut des conséquences sociales, économiques et politiques. Bien que l'on ne cesse d'entendre "le peuple arménien", la communauté ne laisse pas émerger l'idée d'une souveraineté et de peuple. Se penser comme un groupe (classe, catégories sociales, etc.) évite de se penser par clivage et permet de mieux accéder à la singularité individuelle. Le lien social ou le rapport social favorisent la naissance de l'individu singulier.
Être présent lors de ces élections questionne le sens de "centre" que représente, ou pas, pour la diaspora l'Arménie. L'Arménie est en effet devenue un centre fortement investi qui après avoir été vidé de toutes significations sociologiques propres, est de nouveau réintégré dans le discours de pays référent. Cela souligne aussi une pluralité des modes de relation au pays "d'origine".
Plus de démocratie favorise la relation de la diaspora avec l'Arménie. Sans ce processus, la diaspora peut développer sa capacité à construire sa centralité propre. Elle en a les moyens.
Le génocide et la vie en diaspora nous ont longtemps assigné à la marge. On restait libre de nos fidélités particulières: langue, religion, culture, mais on ne les manifestait pas dans l'espace public. Cela a changé avec les troisième et quatrième générations. Aujourd'hui nous avons recomposé des identifications multiples tout en gardant des références objectives et symboliques à notre arménité. Mais avons-nous su développer le sens du "politique", être représenté et nous représenter ? Avons-nous su créer des représentations démocratiques en diaspora ? La représentation est le fondement de toute démocratie. Un représentant est le mandataire de ceux et celles qu'il représente. Avons-nous choisi ceux ou celles qui nous représentent aujourd'hui ?
Ne nous y trompons pas, les enjeux démocratiques sont importants ici et là-bas.
Malgré tout, la démocratie représentative n'est pas suffisante car cet unique choix serait l'affirmation implicite qu'elle n'est constituée que d'individus et d'intérêts individuels (dont la somme constituerait l'intérêt général). D'autre part, la démocratie représentative, si elle est incontournable, produit rapidement un fossé entre les citoyens et ses porte-paroles. Une démocratie réduite au choix des représentants tous les quatre ou cinq ans suscite un désintérêt des citoyens d'où l'importance de mettre en place d'autres formes de participation citoyenne. Telle que la démocratie sociale et délibérative. Il est clair que l'Arménie doit réaliser au plus vite la nécessité d'inscrire les intérêts collectifs dans le cadre d'une démocratie sociale.
Si la démocratie délibérative ne va pas de soi, il n'en reste pas moins que ce serait un sujet de réflexion pertinent pour les Arméniens comme pour les diasporiques, car il s'agit bien de distinguer le politique (palemos), lié à la dimension d'antagonisme, et la politique (polis) qui vise à organiser la coexistence humaine dans des conditions conflictuelles ou à neutraliser le potentiel d'antagonisme.
La démocratie délibérative peut apparaître comme une utopie car il faut abandonner un nombre de références fixes, de modèles préconçus et nécessite un processus d'apprentissage, mais elle révèle de nouvelles formes d'engagement et de mobilisation, le refus des délégations verticales et l'exigence de concertation.
Bon exercice pour les uns et pour les autres, pour une diaspora qui doit s'envisager comme évolutive, ce qui est le fait même des diasporas, et qui doit cesser d'inventer une Arménie originaire dont le lieu "d'origine" est finalement absent car c'est en Anatolie ou à Istanbul qu'il devrait se situer et non pas dans le Caucase du sud et un pays réfèrent qui pour prétendre à être le "centre" si ce n'est d'origine, du moins choisi, doit absolument progresser dans son cheminement démocratique, laisser une place réelle à l'action collective et admettre l'existence de contre-pouvoirs.
Arméniens de diaspora ou habitant du pays, nous participons tous à la définition de l'identité nationale. Par son soutien, son opposition ou sa mobilisation la diaspora a une influence réelle, le "long distance nationalism" de B. Anderson. De ce fait, elle peut et doit entraîner l'Etat à être une source de droits.
La diaspora évolue dans un espace transnational qui ne remet pas en cause les loyautés multiples : mémoire, identité, génocide..., mais doit contribuer à la création de nouvelles formes de socialisation politique, sortir des imaginaires de l'identité, inclure les marqueurs subjectifs et non seulement ceux objectifs, refuser de voir dans ce pays une image fantasmée.
C'est ce qui incite Hyestart à participer ou à créer des projets en Arménie, afin que la distanciation et la remise en question vis-à-vis des valeurs incarnées par la gouvernance du pays ne deviennent pas une distanciation vis à vis de la population arménienne.
Une diaspora n'est pas l'extension à l'étranger du territoire d'origine réel ou symbolique. On ne peut envisager nos relations sur le rapport donneurs d'ordre/exécutant, mais en retour, la mémoire, les commémorations, la plongée d'une ou deux semaines dans une arménité à bon compte ne sont plus suffisants non plus. Il est grand temps que nous redéfinissions une communauté de destin.
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